Pierrot, le comédien de Watteau

Le Musée du Louvre vient de restaurer une œuvre fameuse de Watteau : Pierrot dit le Gilles. L’œuvre inspire, captive, passionne nombre d’artistes depuis le XIXème siècle.

Antoine Watteau

Antoine Watteau naquit le 10 octobre 1684 à Valenciennes. Fils d’un couvreur, il sera encouragé très tôt dans sa vocation artistique. Arrivé à Paris, il s’installe dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Sans protecteur, il gagne sa vie en copiant des tableaux religieux et de genre en de nombreux exemplaires. Il rencontre Claude Gillot en 1705. Gillot le prend dans son atelier et aura une influence sur son œuvre. Il sera l’un artistes du mouvement rocaille, le rococo.

Autoportrait d’Antoine Watteau (vers 1727), Louis Crépy d’après Antoine Watteau, BNF, Paris

Pierrot et le théâtre comique

La comédie est un style théâtral visant à représenter la société et ses travers par le rire. Molière en fut l’un des maîtres. La comédie dite classique aura ses règles. La modernité aura raison de ses règles et ira vers plus de liberté mais aussi vers plus de profondeur dans la dénonciation des mœurs de la société. Ainsi au XVIIIème siècle, l’époque est au théâtre comique. Il se base sur la comédie dell’arte apparue au XVIème siècle en Italie mêlant la préparation et l’improvisation. La concurrence est forte à Paris : une troupe aura Crispin, le valet manipulateur comme personnage d’importance et pour l’autre ce seront des bouffons Arlequin et Pierrot qui prendront place.

Le Tombeau de maître André : Arlequin soldat gourmand (1709-1712), entourage de Claude Gillot, Musée du Louvre, Paris 

Intéressé très tôt par le théâtre, Watteau va s’inspirer de la commedia dell’arte. Ce choix de thématique est surprenant car l’époque n’est pas à la valorisation du métier de comédien. Alors que le théâtre comique sera interdit quelques temps du fait que la critique de l’élite est importante, c’est dans les foires que le théâtre va reprendre. Ayant perdu son écrin, le théâtre comique pourrait prendre ses quartiers dans l’élégance d’un jardin, dans une certaine intimité comme dans La Partie quarrée.

La Partie quarrée (1713-1714), Antoine Watteau, San Francisco

Le fameux Pierrot n’arriva pas du néant. Il semblerait que Watteau en soit le créateur : le style est très soigné, symétrique, une figure bien droite dans un habit bien blanc.

Pierrot (1728), Louis Crépy d’après Antoine Watteau, BNF, Paris

Pierrot va pouvoir être ajouté à d’autres personnes de la comédie italienne afin de créer tout un spectacle, s’ajoute la nuit et l’élégance d’un jardin pour faire pensant au charme, à la galanterie, à l’Amour.

L’Amour au théâtre italien (1716), Antoine Watteau, Berlin

Alors que le théâtre comique est interdit en France jusqu’en 1719, nombre d’acteurs français étaient en Angleterre, à Londres. Lors d’un séjour à Londres, Watteau va pouvoir les croiser et immortaliser ce théâtre qui lui plaît tant.

Les comédiens italiens (1720), Antoine Watteau, Washington

Le Pierrot de Watteau

Vers 1719, Antoine Watteau peint son fameux Pierrot. La même année, la Comédie-Française a fait interdire les représentations de théâtre dans les foires où Pierrot est le personnage principal, peut-être cette toile est comme une critique a cette décision. Regardons ce Pierrot immobile et muet au-devant de personnages qui semblent mener une intrigue.

Pierrot, dit autrefois le Gilles (1719), Antoine Watteau, Musée du Louvre, Paris

Sur le gauche de l’œuvre, l’on aperçoit Crispin, la vedette de la Comédie-Française, qui semble s’amuser de l’immobilité de Pierrot causée par l’interdiction. En dessous, ce trouve l’âne que l’on assimile à la bêtise qui est monté par Crispin.
Sur la droite de l’œuvre, l’on trouve un terme, un ornement qui représente une divinité mythologique associé à la comédie. En dessous l’on trouve un personnage avec une crête, sans doute Momus, le Dieu de la moquerie dans la mythologie romaine. Enfin, deux personnages sont habillés avec des couleurs vives, sans doute deux amoureux.

Pierrot après Watteau

Après 1720, les heures de gloires de Pierrot sont passées. Il est remplacé par un valet aux formes grossières qui mène des intrigues : Gilles
Antoine Watteau meurt en 1721, sans que son tableau Pierrot ne soit connu. Malgré tout, Watteau avait créé le personnage de Pierrot, avait codé ce qu’il était et il sera repris par d’autres artistes qui suivront peu ou prou ses traces, comme Fragonard.

L’Enfant en Pierrot (1780), Jean Honoré Fragonard

Au XXème siècle, l’on retrouve la figure du Pierrot dans le style du cubisme. Ainsi, Pierrot survit aux modes picturales.

Pierrot à la grappe (1919), Juan Gris, Centre Pompidou, Paris 

Arlequin et Pierrot seront rassemblés par Derain. Les bouffons vedettes vont être articulés comme des pantins, et non plus dans la raideur de Watteau.

Arlequin et Pierrot (1924), André Derain, Musée de l’Orangerie, Paris

Picasso semble avoir été inspiré par le personnage de Watteau, il en fait un symbole de la précarité des artistes. Il ira jusqu’à représenter son fils de 4 ans en Pierrot.

Paul en Pierrot (1925), Pablo Picasso, Paris

Antoine Watteau est un peintre connu et reconnu, son style est parfaitement reconnaissable. Son attrait pour le théâtre comique lui aura permis d’offrir la belle figure de Pierrot, que son pinceau ira immortaliser.