Le prieuré est différent du monastère dans le sens où il désigne un ensemble de moins grande importance. En effet, le monastère est un ensemble de bâtiments dédiés à la pratique religieuse et d’autres à la vie où vit une communauté religieuse formée de moines ou de moniales.
Ce terme de prieuré apparaît dans le courant du IXème siècle : le dirigeant d’une petite communauté religieuse est désigné comme le « prieur », la communauté fut donc désignée comme un prieuré. Allant plus loin, un prieuré est le plus souvent crée par une abbaye puissante ayant nombre de dépendance et voulant accroître sa présence territoriale ou sa puissance.
Un prieuré, sur la Loire ?
L’établissement des Hommes près de Loire ne date pas d’hier. Le territoire de La Charité-sur-Loire est au moins occupé depuis le VIIIème siècle. En effet, la cité de Seyr va accueillir une petite église dédiée à la vierge Marie ainsi qu’un petit monastère, vers l’an 700.
Le Prieuré que nous connaissons au sein duquel nous pouvons déambuler apparait trois siècles plus tard. Vers l’an de grâce 1052, l’évêque d’Auxerre, Geoffroy de Champallement, obtient la terre de Seyr. L’évêque invite l’abbaye de Cluny à fonder un monastère, là où il en existât déjà un. L’abbé Hugues de Cluny confie au moine Gérard le soin de procéder à la construction d’une dépendance à Seyr. La construction débute en 1056. La charte de fondation de 1059 confirme que les travaux furent rapidement entrepris après la donation.


Très vite, le prieuré devient une communauté importante, sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. De fait, elle peut prétendre être la première communauté des dépendances de l’Abbaye de Cluny, la plus puissante abbaye de l’époque allant presque jusqu’à rivaliser avec Rome.
Ainsi donc, on construit un prieuré exceptionnel : deux églises, plusieurs cloîtres, les conventuels (la porterie, le logis du prieur, le pressoir, le cellier, le grenier à sel, le réfectoire, la salle capitulaire, …) ainsi que des « logements » pour les divers hôtes et pèlerins de passage demandant asile au prieuré.
L’extraordinaire prieuré va malheureusement connaître des heures sombres suivant ses heures de gloires, il nous est tout de même parvenu en meilleur état que l’Abbaye de Cluny, la maison maire de l’ordre clunisien.
L’abbatiale du prieuré : Sanctae Mariae de Caritate
L’édification de l’abbatiale débutent en 1060. Le Pape Pascal II consacre une église dont les travaux ne sont pas aboutis, en 1107. En effet, un premier plan est arrêté pour la prieurale mais ce plan de style Cluny II va subir des transformations pour intégrer les avancées architecturales réalisées sur Cluny III. Si l’ensemble fait partie du style roman, l’église intègre différentes évolutions archéologiques. De fait, l’église ne peut pas être datée précisément car les siècles suivant le début de sa construction y apporteront de modifications importantes.

À son apogée, l’église était longue de 120 mètres avec deux clochers, cinq nefs, un chœur important et des chapelles. Elle fût la plus grande église après celle de l’Abbaye de Cluny.
Entamons notre plongée dans une ordre plus ou moins chronologique en mêlant les éléments originels du XIIème siècle et les autres qui égrainent la passionnante histoire du prieuré.
La Tour Sainte-Croix fût bâtie au cours du XIIème siècle. Elle faisait partie d’un ensemble roman composée de cinq portails encadrés par deux tours. Vaisseau vertical de pierre, cette tour conserve un style résolument roman avec une partie supérieure caractéristique : deux étages de triples baies impliquant piliers et chapiteaux.
Au pied de cette tour existait deux portails, qui bien que toujours existants ont été murées sans doute pour des questions de sécurité à la suite de la destruction de la seconde tour. De ces deux portails, l’on conserve les encadrements sur place mais également les tympans, taillés vers 1135. Toujours en place, se trouve le Tympan de la Vierge : le thème de Marie est courant dans l’art roman. Il implique l’élévation de Marie reçue par le Christ, une scène rare. De plus, cette scène accueillerait le prieur Gérard qui serait l’un des deux moines. Le reste des scènes raconte la vie de Marie.

Pour des raisons de conservation, le Tympan de la Transfiguration fut, quant à lui, installé dans l’édifice, en 1835, par Prosper Mérimée. L’ensemble révèle des scènes classiques de l’art roman, et semblable aux habitudes clunisiennes. Rappelons que ces deux tympans furent autrefois polychromés et sans doute très vivants.


Au XVIème siècle, l’ancien portail roman laisse place à un portail gothique qui renforce la structure tout en ne dénaturant pas trop un ensemble déjà bien malmené.
Franchissant ce portail, les pèlerins d’avant, l’incendie du 31 juillet 1559 qui vient détruire une partie de l’édifice, découvre un ensemble formidable : 120 mètres de style roman. Lors de cet incendie, la nef est une grande victime : six travées manquent à l’église. À cet emplacement fût bâti un cimetière puis des habitations pour enfin devenir la Place Sainte-Croix accueillant l’office du tourisme de la ville ainsi qu’un petit parking.
Les vestiges d’un faux triforium existent toujours dans le plus beau style roman.


En 1695 fût rebâti une nef bien plus modeste que la précédente par faute de moyen, le prieuré ayant perdu sa grandeur ancienne, c’est donc un ensemble dont la cohérence peut surprendre qui accueille dès lors le pèlerin ou le visiteur.

Avant d’accéder au chœur, nous sommes happés par le transept et son élévation. Œuvre du XIIème siècle, chaque côté est assorti de quatre arcs brisés, les trois niveaux sont de belles conceptions et rapportent les phases de l’évolution architectural d’un lieu d’exception.
Ce chœur s’ouvre sur quatres chapelles rayonnantes et une chapelle axiale.
Dans le même temps, au XIIème siècle, fut bâti le chœur. Sa construction s’étale de 1115 à 1135. L’œil se pose d’abord sur les huit piliers qui soutiennent l’abside en cul-de-four. La surprise est de mise lorsque l’on trouve un ensemble de huit bas-reliefs, un chef d’œuvre qui passe souvent inaperçu, au-dessus de la colonnade. Ces bas-reliefs représentent : un griffon, symbole Christ ; un dragon qui symbolise le mal ; une hyène évoquant une certaine duplicité ; un dromadaire ; un agneau, incarnation du Christ ; une vouivre ; une grue qui évoque une certaine prudence et un éléphant qui laisse accès à un univers fantasmé. N’oublions pas que la vision actuelle du chœur est celle résultante de nombreux siècles d’existences, les informations subsistantes laissent à penser à l’existence d’un deuxième étage pour le chœur.


Les colonnes du chœur sont toutes assorties de chapiteaux à leur sommet. Datés du XIème au XIIème siècle, ces chapiteaux sont un témoignage du génie artistique d’une autre époque mais également de la richesse du prieuré clunisien. J’ai choisi de vous montrer, ci-contre, l’un de ces chapiteaux à la décoration des plus intéressantes : Tortues et Chauves-Souris. Les Tortues ont la tête en haut vers le Ciel pour symboliser l’immortalité du Christ tandis que les Chauves-Souris ont la tête en bas pour représenter les ténèbres.

Au début du XIIème siècle, la prieurale subit des modifications, en résulte la construction du déambulatoire autour du chœur, observons les pilastres à grappes de raisin qui témoigne d’un art déjà affirmé. Les chapelles rayonnantes et axiales vont être modifiés, on réutilise des éléments déjà présents, comme les chapiteaux Des vitraux modernes viendront plus tard accompagner les chapelles.
En suivant le déambulatoire, le visiteur parvient à la chapelle axiale. D’abord construite au XIIème siècle, la chapelle que l’on peut voir est issue des modifications gothiques qui lui furent données au XIVème siècle : forme de croix latine, croisées d’ogives, baies avec vitraux.

La prieurale, un extérieur d’exception
En faisant le tour de l’église, la découverte est à nouveau formidable : le chevet roman. La majeure partie du chevet est sans doute datée du XIIème siècle. L’œuvre est colossale. Chevet, croisillons, arcatures, absidioles, modillons ou encore chapiteaux constituent cet ensemble. Décors abondants aux têtes d’hommes, de femmes, d’animaux recouvrent le chevet.


Poursuivons notre pérégrination au sein du XIIème siècle avec le clocher-tour de la Bertrange. Un élément d’architecture carrée, comme les vestiges d’une tour, agrémentée de médaillons évoquant les Évangélistes, et faisant le lien entre la nef et le clocher. L’étage octogonal est également un chef d’œuvre. 32 statuettes occupent les baies obscurcies de murs. Elles sont entourées de colonnes, de pilastres, de chapiteaux.
Les autres bâtiments, vestiges du prieuré
Tout monastère se doit de posséder une salle de « gouvernement » : la salle du chapitre ou salle capitulaire. On y discute de toutes les affaires de la communauté, notamment celles en rapport avec l’élection des abbés, les aspects financiers, le noviciat, les annonces de l’évêque ou encore la réception de laïcs d’importance. La salle capitulaire du prieuré repose sur une base romane remontée de style gothique, du XIIIème siècle, la richesse de son décor (colonnes, chapiteaux, peintures murales, clés de voûtes agrémentées de visage, …) font montre de la puissance du prieuré.

Jouxtant la salle capitulaire, la salle Mérimée est une autre salle voûtée du XIIIème siècle. Arcs brisés aux piliers portant le poids de voûtes, l’endroit est une salle dont on ne connait pas la fonction mais qui relève d’un décor d’une richesse qui ne doit rien au hasard.

Au fil des siècles, le cloître fit face à deux incendies, au XIIIème puis au XVIIème siècle, et ne ressemble sans doute pas à son projet initial.

L’incendie de 1559 aura ravagé une partie du prieuré dont l’église Saint-Laurent, qui fut détruite au XVIIème siècle. Cette église est sans doute très ancienne car selon certains écrits, elle aurait servi d’église principale du prieuré pendant la construction de l’église Notre-Dame, la nef rejoignant la salle capitulaire. Elle fut redécouverte en 1975 et ses vestiges seront mis en évidence au sein du jardin.

De la magnificence à la ruine, le prieuré de La Charité-sur-Loire aura connu nombre d’évènements. Sa construction permit d’écrire dans la pierre l’ingéniosité, l’art d’une époque particulière. La précision de la finesse est jusque dans les détails : le niveau octogonal du clocher nous offre trois statues de prophètes, taillées et posées au XIIème siècle, que je vous offre pour finir cette plongée au cœur de l’un des ensemble roman les plus impressionnants de France.
