Toute ville possède ses merveilles. Pour Toulouse, on parlera souvent du Capitole mais l’architecture gothique à marquer la cité des Comtes d’une merveille au XIIIème siècle : le Couvent des Jacobins. Merveille de la merveille, le palmier avec son pilier tronc et ses 22 nervures culmine à 28 mètres du sol.
Dominique de Guzman, un saint prêcheur
Évoquer la fondation du Couvent, c’est avant tout revenir sur l’histoire de l’Ordre des Prêcheurs et son inspirateur Dominique de Guzman. Il naquit en l’an de grâce 1170 à Caleruega, dans la province de Castille. Sa mère, Jeanne d’Aza aurait eu une vision impliquant un grand destin pour son fils.
En 1187, Dominique se passionne pour l’étude de la théologie et sera remarqué par l’évêque d’Ozma. En 1196, il devient chanoine. Il sera ordonné prêtre l’année suivante et devient sous-prieur en 1201, sous la règle de Saint Augustin.
Mandaté par le Roi Alphonse VIII de Castille, il part avec l’évêque Diègue s’enquérir d’une princesse noble pour la marier à l’infant Fernando. Sur le chemin vers le nord de l’Europe, ils s’arrêtent à Toulouse où Dominique va convertir un hérétique en une seule nuit, un exploit. En 1205, Dominique est reçu à Rome par le Pape Innocent III qui lui aurait demandé de combattre l’hérésie. Il faut dire que l’Occitanie du XIIIème siècle est le foyer des prémices de la Contre-Réforme, de la religion Cathare qui remet en cause Église de Rome. En 1207, après avoir affronté des cathares dans des débats théologiques, Dominique rassemble suffisamment de femmes de retour dans la foi de Rome pour établir un monastère à Prouilhe. Les évènements s’accélèrent et le Pape Innocent III lance un appel à la Croisade contre les Albigeois, Albi étant également un bastion cathare, le 10 mars 1208.
En 1215, la cité de Toulouse s’est réconciliée avec l’Église et l’évêque de Toulouse, Foulques, revient dans la cité avec Dominique qui prêche toujours et encore. Pierre Seilhan offre trois maisons reçues en héritage, le 25 avril 1215, à Dominique pour y établir sa communauté naissante. Le culte est organisé au sein de l’église Saint Romain. Foulques donnera à Dominique l’église Saint Romain et celui-ci acquiert aux alentours des terrains grâce à de nombreuses donations. Il rencontre le Pape Honorius III qui confirme la création de l’ordre des pêcheurs le 21 janvier 1217 avec la bulle Gratarum omnium largitori. Dominique meurt le 6 août 1221 à Bologne et sera canonisé le 3 juillet 1234.
La fondation du Couvent des Jacobins
Dominique fonde des couvents sur son passage. Les Frères de Paris se sont installés dans l’Hospice Saint Jacques. Jacques étant Jocobus en latin, leur nom sera tout trouvé.
Revenons à Toulouse. En septembre 1229, la première pierre de l’église primitive est posée. Achevée en 1234, l’église répond à une exigence de simplicité : une double nef séparant les Frères et les fidèles. La double nef tient sa séparation de piliers à base carré dont quelques-uns subsistent. L’autel est situé dans la partie réservée aux Frères. Cette église large de 22 mètres et large de 40, atteint une hauteur d’un peu plus de 13 mètres. L’ouvrage est constitué de briques rouges et entouré d’un passage couvert, au sud, pour l’accès des fidèles.
Les dominicains de Toulouse vont avoir la mission de participer à l’enseignement au sein de l’Université qui vient juste d’émerger. En parallèle, en 1233, l’Ordre reçoit une partie de la mission de l’Inquisition du Pape Grégoire IX, Toulouse et d’autres villes voient s’implanter sur leur territoire des tribunaux d’inquisition.
Le rôle des Dominicains est en passe de surpasser le rôle du clergé séculier qui décide de ne plus ouvrir leurs lieux de cultes au Dominicains. Ainsi, donc, à partir de 1234, l’agrandissement de l’église des jacobins va être entreprise. De nouveaux terrains sont acquis, ce qui provoquer la colère des toulousains qui associent les dominicains à l’Inquisition. Sous le prieur Raymond de Foix, les travaux reprennent en 1242. L’église des jacobins va être allongée, tout comme le réfectoire et dans le même temps vont être bâtis une infirmerie, une hôtellerie, un dortoir.
Le réfectoire est vaste de 17 mètres de long avec ses voûtes d’arcs en diaphragmes.
L’église est agrandie : sa longueur passe à 72 mètres, tout en conservant ses 22 mètres de larges ; ajout de deux travées ; mais surtout l’abside est parée d’onze chapelles. Malgré un importance croissante de l’église, son canon reste celui de l’ordre : la simplicité dans les matériaux même si l’architecture est relativement moderne même si elle nous paraît assez simple. En 1258, le chapitre général de l’Ordre est tenu à Toulouse et il inaugure une évolution dans le goût architectural de constructions de l’Ordre. En outre, les églises dominicaines ne sont pas au niveau des somptueuses et pompeuses églises en construction de part et d’autre, des travaux vont donc être entrepris.
Le rayonnement du Couvent des Jacobins
En l’an de grâce 1275, l’abside est totalement transformée. La charpente de bois est remplacée par des croisées d’ogives somptueuses, en briques, soutenues par trois nouveaux piliers massifs. Dans le même temps, la merveille connue et reconnue du couvent fait son entrée : le palmier, à 28 mètres du sol. La colonne orientale supporte un ensemble de voûtes et d’appareils aux 22 branches qui composent un parfait palmier, une prouesse de compétences et de techniques pour l’époque. L’église des jacobins surpasse donc la concurrence mais cela ne suffit pas. Bien qu’entrant dans l’église la lumière va être renforcée par l’ajout de couleurs sur les murs pour donner une impression de marbres bicolores. Les chapelles seront ornées de scènes religieuses constituant un livre d’histoire sainte pour les fidèles éclairées par la lumière pénétrant les vitraux.
L’église inaugurée le 2 février 1292 est également doutée d’un clocher octogonal à cinq étages. Il supportait une flèche qui fut détruite en 1795. Le clocher est ressemblant et contemporain de celui de la Basilique de Saint Sernin, un autre chef d’œuvre toulousain.
En parallèle, le dortoir est agrandi et l’ancien cloître est démonté vers une autre partie formant le « petit cloître ». Il sera démantelé par un évêque voulant former une nouvelle rue en 1772. Il dessert une chapelle sur le thème de l’Épiphanie, elle aussi disparue.
Entre 1299 et 1301, on bâtira la salle capitulaire où la sobriété reflète la richesse. En effet, les voûtes à croisées d’ogives ne reposent que sur deux colonnes de marbres gris. L’on construit également une grande sacristie.
Par ailleurs, un nouveau cloître est bâti entre 1306 et 1310. Les quatre galeries sont couvertes de toits reposants sur des colonnes de marbres gris de Saint-Béat surélevés de chapiteaux aux décors végétaux.
Les reconstructions successives sont de fort mauvais goût au serin de l’église. Ainsi, l’on va rebâtir les voûtes de la nef pour une harmoniser avec le palmier de l’abside. Entre les années 1320 et 1335, la nef est refaite.
La dernière grande réalisation du couvent des Jacobins à lieu entre 1335 et 1341. Les dominicains bâtissent la chapelle Saint Antonin. Antonin aurait été le neveu d’un roi des Wisigoths qui se serait convertit au catholicisme et serait parti en mission évangélisation. Il se rendit à Toulouse, la capitale des Wisigoths, où il sera plongé dans du plomb en fusion pour son « hérésie » et plus tard décapité. Un décor peint du XIVème siècle orne la chapelle racontant la vie du saint mêlée à des scènes de l’Apocalypse.
Saint Thomas d’Aquin décède en 1274. Il est canonisé en 1323. En tant que théoricien de l’Ordre Dominicain, le Pape Urbain V fait transférer ses reliques, en 1368, au sein du couvent des Jacobins. Les reliques sont aujourd’hui installées dans un coffre en dessous de l’autel de l’église des Jacobins.
Le déclin et le sauvetage du Couvent des Jacobins
Le Couvent aurait pu poursuivre son chemin mais l’Histoire en a voulu autrement. En effet, à la Révolution Française, il est fermé. Bien qu’il ne soit pas dégradé sous l’époque révolutionnaire, le 1er empire l’offre à l’Armée. De fait, le monument est adapté sans que l’on ne prenne garde aux richesses du lieu. L’église est divisée en trois niveaux où l’on installe du foin, des lits pour les militaires et pire encore le rez-de-chaussée devient une écurie, tout comme la salle capitulaire. Le réfectoire est transformé en manège d’entraînement et la chapelle Saint antonin devient l’infirmerie des chevaux qui font leur besoin sur les murs et provoquent la destruction partielle des peintures.
La Société Archéologique du Midi est scandalisée par le massacre perpétré par les militaires dans le couvent et obtiennent le classement au Monuments Historiques du couvent en 1841. L’Armée reste sur sa position et projette la destruction du monument.
Prosper Mérimée passe en visite et Viollet-le-Duc présente rapport sur les dommages causés par l’Armée. Il était temps, l’Armée quitte le Couvent en 1865.
Des travaux sont entrepris pour conserver l’existant et interpréter le monument.
Pendant la Première Guerre Mondiale, le Couvent accueille les œuvres des grands musuées nationaux comme le Louvre, le Château de Versailles, ….
En 1920 débute une véritable campagne de restauration. Depuis lors des efforts sont faits pour conserver cette merveille de Toulouse.