Notre-Dame de Paris : Faire parler les pierres

La cathédrale Notre-Dame de Paris sera réouverte à partir du 8 décembre 2024. Jour attendu par nombre de personnes, fidèles ou non, ayant en mémoire le malheureux incendie qui a ravagé la cathédrale. Alors que le Musée du Louvre accueillera et proposera aux visiteurs une exposition sur le Trésor de Notre-Dame, le Musée de Cluny, n’est pas en reste et, va exposer des trésors de pierres permettant de raconter l’histoire mouvementée de la cathédrale.

Dais de la Vierge à l’Enfant (avant 1258), Musée de Cluny, Paris

Le Jubé « retrouvé »

« Jube, Domine, Benedicere » (Daigne Seigneur me bénir), ce sont les premiers mots de la prière précédant la lecture de l’Évangile. Au moyen-âge, une clôture va venir séparer le chœur et la nef. Du haut de cette clôture sera lue l’épitre et l’évangile. Le nom de jubé en référence à la prière va s’imposer.

Vestige d’une corniche à décor végétal (vers 1230), INRAP

En 2022, les fouilles préventives avant les travaux de restauration de Notre-Dame vont permettre de mettre au jour plus d’un millier de fragments du jubé du XIIIème siècle. Ce jubé médiéval est bâti vers 1230, il sera prolongé un siècle plus tard par la clôture du chœur qui existe toujours. 
Il semblerait que le thème du jubé était celui de la passion du Christ avec en son centre un calvaire, place au-dessus de la porte menant dans le chœur.

Tête du Christ aux yeux clos (vers 1230), INRAP

Les vestiges du jubé découverts laissent apparaître la polychromie de l’époque médiévale qui bien que fragile devrait pouvoir être stabilisée.

Aaron et Moïse (vers 1230), INRAP

En 1548 et en 1550, les huguenots vont détruire une partie des sculptures. Un placage à l’esthétique baroque va venir le cacher au XVIIème siècle.

Fragment de frise végétale (vers 1230), INRAP

Le Roi Louis XIII va précipiter le destin du jubé. En 1638, le Vœu de Louis XIII est soumis au Parlement de Paris : il implique que le Royaume, le Roi et ses Sujets sont sous la protection de la Vierge Marie. Le Roi promet d’élever un nouveau maître-autel. Son fils, le Roi-Soleil va réaliser sa promesse. Le jubé est détruit à partir de 1699, la liturgie l’ayant rendu obsolète.

Fragment de main (vers 1230), INRAP

Lors des travaux de restauration de Notre-Dame au XIXème siècle, Eugène Viollet-le-Duc va découvrir des fragments du jubé comme Adam et Ève et la chaudière de l’enfer, malheureusement les techniques de nettoyage et de conservation de l’époque ne vont pas permettre de conserver les restes de polychromies.

Adam et Ève et la chaudière de l’enfer (vers 1230), Musée du Louvre, Paris

Le portail du Jugement Dernier

La façade occidentale, celle de l’entrée dans la cathédrale présente un ensemble de trois portail, dont celui du Jugement Dernier. Les habitudes liées à la liturgie moderne ont évolué et les croix et bannière sorties en processions passent mal par l’embrasure du portail. De fait, en 1771, les chanoines font déposer le tympan du Christ et abimer les linteaux, notamment celui de la Pesée des âmes. Du décor originel du portail, il restera les extrémités du linteau (quatre morceaux) : des anges soufflants dans des trompes pour réveiller les morts. Ces vestiges vont être à leurs tours déposés par Lassus et Viollet-le-Duc lorsqu’ils vont effectuer des travaux pour restaurer et rendre le portail d’origine.

Ange sonnant de la trompe (vers 1210-1220), Musée de Cluny, Paris

Le portail était également agrémenté de six apôtres entourant le pilier où fût présent le Christ. Les statues furent la proie des destructions révolutionnaires de 1793-1794 … Deux statues furent redécouvertes au XIXème siècle, comme celle de l’apôtre ci-dessous.

Apôtre, portail du Jugement Dernier (vers 1210), Musée Carnavalet, Paris

Ce corps de statue nous permet d’admirer l’importance du travail accordés à ses éléments du portail, à la technique des artisans de l’époque au travers du style des drapés, qui laissent flotter les lourds et riches vêtements.

Les destructions révolutionnaires : la Galerie des Rois et les portails

Malheureusement, les destructions révolutionnaires de 1793 et 1794 ne s’arrêtent pas aux statues du portail du Jugement Dernier. En effet, en pleine période de chaos, l’on veut détruire tous les symboles de la monarchie et de l’Église en France et notamment à Notre-Dame de Paris.
Malgré les marteau, les pioches ou autres outils de destructions, certaines figures, certaines expressions ont fait acte de résistance sur leur place ou au sol parmi les gravats comme c’est le cas de l’Ange du portail du Couronnement de la Vierge.

Tête d’Ange (vers 1210-1220), Musée de Cluny, Paris

La Galerie des Rois, sur la façade occidentale, est composée de vingt-huit statues de Rois qu’ils soient de l’Ancien Testament ou de France. Toujours-est-il que ces Rois vont être une des cibles privilégiée des révolutionnaires dans leur œuvre de destruction systématiques : on fait tomber les Rois de leur galerie puis on les décapite. L’idée étant de s’en servir de pierre de remblais …
En 1977, vingt-et-une têtes de la galerie des Rois sont retrouvées. La découverte est formidable, nous rappelant que parfois le temps grade la trace d’évènements passés. Chacun de ses Rois mesurait 3,70 mètres. Des éléments des corps des Rois ont pu être retrouvés mais rien d’aussi conséquent que les têtes.

Têtes des Rois, Musée de Cluny, Paris

La même année, il fût retrouvé des statues du portail Saint-Anne. Elles avaient été débitées en tronçons plus ou moins importants. Elles ont pu bénéficier d’un nettoyage puis d’un remontage quand il était possible.

Salomon et Saint-Pierre, Portail Saint-Anne (vers 1145), Musée de Cluny, Paris

Personnage d’importance, Saint-Marcel fût évêque de Paris au Vème siècle. Il est représenté sur le trumeau du Portail Saint-Anne, il terrasse le dragon qui émerge d’un cercueil.

Trumeau portail Saint-Anne (vers 1145), Musée de Cluny, Paris

Si le trumeau est laissé en place lors du saccage révolutionnaire, c’est dans le but d’assurer la stabilité du portail. Cependant les éléments sacrés de l’évêque comme sa mitre, sa crosse ne seront pas épargnés. Certaines parties seront restaurées sous Viollet-le-Duc.

Saint Marcel, Musée de Cluny, Paris

Saccagées elles aussi pendant la Révolution, les statues du portail Saint-Étienne nous sont en parties parvenues.

Vestiges du portail Saint-Étienne, Musée de Cluny, Paris

Quelques têtes furent retrouvées, mais les attribuer à tel ou tel endroit n’est pas une évidence tant les sources d’avant destruction révolutionnaires manquent. L’étude de la pierre, des lignes du style, des infiltrations d’eau, … peut permettre d’en établir la provenance comme c’est le cas de la tête mitrée ci-dessous, que l’on peut positionner dans le Portail Saint-Étienne.

Tête mitrée (vers 1260), Musée de Cluny, Paris

Adam, rescapé des destructions révolutionnaires

Les destructions révolutionnaires sont nombreuses mais parmi ce chantier d’effacement, un chef d’œuvre sera sauvé : Adam.

Adam (vers 1260), Musée de Cluny, Paris

Il se trouvait à l’intérieur du transept sud dans une niche à proximité de son pendant, Ève, qui est perdue. Dans le thème de la Rédemption, Adam fût une œuvre habillée de polychromie du XIIIème siècle, un chef d’œuvre de l’époque. Si Adam est un rescapé, c’est avant tout car il fût descendu de sa niche peu de temps avant la Révolution pour être entreposé ailleurs. Transféré dans un musée puis abandonné dans un dépôt de plein air de Saint-Denis, l’œuvre a souffert. Alors que ses jambes sont brisées, il entre en 1887 au Musée de Cluny qui aura fort à faire pour lui redonner de sa superbe.

Adam (vers 1260), Musée de Cluny, Paris

L’exposition du Musée de Cluny sur les pierres qui sont des vestiges ou des fragments de l’histoire de la Cathédrale Notre-Dame de Paris suscitent nombre d’émotions : que ce soit une grande joie face à leur découverte des couleurs des vestiges du jubé où une grande tristesse face aux têtes de Roi vandalisées par les révolutionnaires.

Buste de Roi mage (vers 1260), Adam (vers 1260), Musée de Cluny, Paris