Chaque cathédrale possède son trésor. Le trésor est à l’origine l’endroit où l’on dépose les objets précieux, mais l’on entend à notre époque par ce mot les biens précieux. Il peut être constitué de reliques, d’objets cultuels, de vêtements sacerdotaux, de manuscrits ou de tout autre bien précieux. Comme nombre d’autres cathédrale, Notre-Dame de Paris possède son trésor. Au travers de son trésor, nous pouvons tourner quelques pages de l’histoire de la Cathédrale de l’archidiocèse de Paris.
Le Trésor avant la construction de la cathédrale
Parmi les personnages d’importance de l’histoire de la cathédrale se trouve Saint Marcel. Il fût le neuvième évêque de Paris. Il gagna sa sainteté de par son évangélisation des environs de Paris et surtout de sa prétendue victoire contre un dragon qui serait venu dévorer le corps d’une chrétienne récemment défunte. Le culte pour Saint-Marcel débuta et les restes du saint furent placés dans une châsse. Cette châsse reprenant la vie de Saint Marcel fût fondue le 8 octobre 1792. Une petite statuette qui pourrait être à l’effigie du Saint nous laisse un aperçu du culte pour Marcel.
Statuette de Saint-Marcel (1500-1530)
L’origine du Trésor de Notre-Dame est très floue. L’on sait que le Roi Dagobert offrira une châsse pour Saint Geneviève. Grégoire de Tours mentionne l’arrivée de reliques précédant le Roi Chilpéric, entrant à Paris. Le Sacramentaire à l’usage de Paris, dont une partie nous est parvenue, semble être une liste « ancienne » mentionnant un Trésor à Notre-Dame au IXème siècle, il y figure les corps des saints (Denis, Marcel, Geneviève, …) et quelques mentions de reliques.
Sacramentaire à l’usage de Paris (IXème-Xème siècle)
Le Trésor sous l’ère médiévale
L’évêque Maurice de Sully lance la construction de la cathédrale gothique en 1163. Le trésor sera installé avant 1241 dans un bâtiment annexe relié au chœur de la cathédrale. Un véritable trésor est créé à cette époque. Maurice de Sully offre un devant d’autel en or, des tables d’argent pour le culte. Moult Rois, seigneurs, membres du Clergé vont offrir des merveilles qui vont pour la plupart disparaître. Ses biens perdus nous sont contés dans l’Inventaire du Trésor de Notre-Dame de 1428 : « Ensuit l’inventoire des reliques, joyaux, aournements, draps d’or et de soye, tappisserie, livres et aultres chosses estans ou tresor de l’eglise de Paris ».
Inventaire du Trésor de Notre-Dame (11 novembre 1438)
Paradoxalement, le Trésor médiéval nous apparaît au gré de l’ouverture de sépultures d’évêques de Paris dans la cathédrale en nous révélant des objets qui sans être les plus précieux apportent un éclairage sur les biens de l’ère médiévale. Ainsi, trois croisses en cuivres émaillées ont pu être trouvées dont un datant du début du XIIIème siècle et ayant appartenu à l’évêque Étienne Tempier.
Crosse dite de Notre-Dame (vers 1200)
Autre partie intéressante du trésor médiéval : les livres. L’évocation de livres comme faisant partie du trésor montre combien ses ouvrages, au-delà de leur valeur marchande, furent important dans le Trésor. Un inventaire clair et précis des livres du Trésor de l’époque médiéval n’existe pas … si certains registres nous sont parvenus, leur intérêt reste limité. Le Livre des serments des évêques et des chanoines nous livre quelques enluminures du XIIème siècle qui laissent apercevoir la richesse des manuscrits de l’époque.
Livre des serments des évêques et des chanoines (XIIème-XVème siècle)
Le Trésor sous l’Ancien Régime
Du XVIème au XVIIIème siècle, sous l’Ancien Régime, la cathédrale et le Trésor de Notre-Dame de Paris gagnent en importance. Les reliquaires sont sortis pour de grandes processions. Le Trésor est œuvre du prestige royal et doit refléter le pouvoir royal scintiller et éblouir par ses merveilles pour faire montre de la dévotion du Royaume de France.
Antoine de La Porte est un chanoine bien connu de Notre-Dame de Paris du fait qu’il sera généreux, tant en offrant des œuvres pour le Trésor ou en prêtant de l’argent pour accomplir le Vœux de Louis XIII. Le tableau ci-dessous montre le chanoine mis en avant avec le prestige de la cathédrale et des pièces de son Trésor.
La Messe du chanoine Antoine de La Porte (entre 1708 et 1710)
Le Trésor « modernisé » aura également sa part de nouveaux livres. Le chanoine Duhamel passe commande d’un graduel en juillet 1668 adapté à la nouvelle liturgie.
Détail du Graduel de l’Église de Paris (1669), Étienne Compardel
Un siècle plus tard, en 1753, on passe commande d’un nouvel Évangéliaire enluminé qui est une œuvre d’art.
Évangéliaire à l’usage de l’Église Paris (1753)
Dans le Trésor se trouve également nombre de tableaux et de drapeaux pris à l’ennemi au cours des batailles.
Au cours des travaux d’embellissement, de rénovation, de restauration des XVII et XVIIIème siècles, les besoin de la cathédrale changent et toujours et encore le besoin de légitimation du pouvoir royal est présent. Ainsi, en 1756, le Roi Louis XV charge son architecte Jacques Germain Soufflot de démolir les malheureux restes de la sacristie et du Trésor du XIIème siècle et de rebâtir un ensemble plus adapté à l’époque. Le chanoine François Guillot de Montjoye étant intendant de la fabrique de Notre-Dame va suivre le chantier, l’archevêché conservant son influence sur le chantier par cette présence. L’édifice dorique résiste jusqu’en 1844 où les restaurateurs Lassus et Viollet-le-Duc détruisent le bâtiment pour en rebâtir un plus en accord avec l’architecture gothique.
Portrait du chanoine François Guillot de Montjoye (XIXème siècle)
Le Trésor sous la Révolution et l’Empire
En 1789, tout bascule. Les États Généraux sont ouverts, la Monarchie vacille. Le 20 septembre 1789, les églises doivent donner à l’hôtel des Monnaies tous les biens somptuaires du culte. La nationalisation des biens du Clergé arrive le 2 novembre 1789. Après l’adoption de la Constitution civile du Clergé, l’Évêque de Paris s’enfuit. Le chapitre et supprimé le 22 novembre 1790.
Le 22 août 1792, dans la nuit, ce qui reste du Trésor est emporté à l’Hôtel de Ville pour une pesée et vers la fonderie. Seul quelques trésors échapperont à ce funeste destin.
Parure d’autel (1710-1720)
Notre-Dame de Paris sort de l’ombre le 18 avril 1801, date à laquelle va être promulgué le Concordat au sein de la cathédrale. Alors que l’Empire succède au Consulat, le Trésor va retrouver une partie de sa superbe. En effet, l’Empereur Napoléon Ier choisit Notre-Dame de Paris pour son sacre. Ainsi, le 2 décembre 1804 a lieu le sacre de Napoléon et de Joséphine dans la cathédrale, sacre bénit par le Pape Pie VII. A cette occasion et du fait que le Trésor est en grande partie vide, l’Empereur va faire faire de nouvelles pièces cultuelles qui vont entrer dans le Trésor. Les « honneurs de Charlemagne » ayant été préservé de la fonte ils vont servir au couronnement. Martin Guillaume Biennais va d’abord démonter puis redorer la Couronne dite de Charlemagne.
Couronne dite de Charlemagne (1804), Martin Guillaume Biennais
Autre insigne important, celui de la Main de Justice. Cette main retrouvée parmi les restes du Trésor royal est démontée, nettoyée, restaurée et remontée sur un bâton doré.
Main de Justice (1804), Martin Guillaume Biennais
Pour la sacre, l’on va créer ou faire venir des parures d’autel, croix de processions, anguillières, bassin, mitres, …. comme la Chape ci-dessous, ayant échappée aux saccages des régimes suivants.
Chape de l’ornement du sacre de Napoléon Ier (1804), Desmarais
À cette même époque, en 1804, l’archevêque de Paris obtient que les reliques de la Passion, anciennement dans la Sainte-Chapelle, fassent leur entrée dans le Trésor de Notre-Dame. La Couronne d’épine du Christ entre dans le Trésor le 26 octobre 1804, suivie par d’autres reliques qui bien que dépouillées de leurs reliquaires ont été conservée au sein de la Bibliothèque Nationale à titre de curiosité. En 1806, la Couronne d’épine du Christ va recevoir le soin d’être déposée dans un reliquaire cylindrique fait de cristal, lui-même déposé dans une Châsse de la Couronne d’épine.
Châsse de la Couronne d’épine (1806), Jean-Charles Cahier
Par ailleurs au gré des conquêtes napoléoniennes, le butin va venir augmenter le Trésor de Notre-Dame par des biens provenant d’églises ou profanes.
Paire de vases d’autel au décor profane (1599, Augsbourg), Raimund Laminit
Le 29 juillet 1830, les insurgés prennent le palais de l’archevêque de Paris, il est pillé. Fort heureusement, l’avant-veille, le trésorier et le gardien avaient fait sortir les biens les plus précieux du Trésor. Malgré tout, le pillage et la destruction laisse à nouveau le Trésor amoindrit.
Alors que le palais de l’archevêque est détruit en 1837, on tarde à reconstruire une sacristie pour accueillir le Trésor. Il faudra attendre l’été 1855, pendant l’Exposition Universelle pour que les parisiens puissent visiter le Trésor de Notre-Dame.
Le Trésor du XIXème siècle et l’apport d’Eugène Viollet-le-Duc
Mgr Sibour est nommé archevêque de Paris en 1848. Le 15 avril 1854, il bénit la nouvelle sacristie qui accueille le Trésor, réalisé par les architectes Lassus et Viollet-le-Duc, alors en pleine restauration de la cathédrale, fatiguée par les siècles de dévotion et de tourmente.
Mitre de Mgr Sibour (1850), André Hubert Ménage
Le 14 juin 1856, le fils de l’Empereur Napoléon III est baptisé à Notre-Dame de Paris. Pour cet évènement fastueux, l’Empereur offre à la cathédrale un ornement liturgie assez large qui est toujours dans le Trésor.
Chape de l’ornement offert par Napoléon III (1837), Grand Frères
L’exposition des reliques de la Passion est décidée. Les reliquaires fatigués sont remplacés. Basé sur un projet d’Eugène Viollet-le-Duc, le reliquaire de la Couronne d’épines prend pour thématique son histoire française : couronne royale fleurdelisée, la représentation de saints sur ses pieds, notamment Saint-Louis. Deux années de travail auront été nécessaires pour réaliser cette œuvre magnifique.
Reliquaire de la Couronne d’épines (1862), Placide Poussielgue-Rusand
La Couronne d’épine n’est pas la seule relique de la Passion détenue par la France : le Saint Clou et un morceau de la Vraie Croix vont être rassemblés dans un même reliquaire, sur proposition du chanoine Lequeux.
Reliquaire du Clou et du Bois de la Vraie Croix (1862), Placide Poussielgue-Rusand
Viollet-le-Duc va également prévoir un contenant pour les Saintes-Huiles. Il va reprendre l’idée de l’aigle créer par l’abbé Suger pour Saint-Denis en 1147. La colombe de Viollet-le-Duc renferme des fioles contenant les Saintes-Huiles.
Chrémier en forme de colombe (1866), Jean-Alexandre Chertier
Une des plus belles réalisation du XIXème siècle pour le Trésor est le Buste-reliquaire de Saint-Louis. Eugène Viollet-le-Duc est à nouveau en charge du projet. Il va se référer au reliquaire produit pour la Sainte-Chapelle en 1306, pour rendre l’aspect historique de continuité du reliquaire.
Buste-reliquaire de saint Louis (1868), Jean-Alexandre Chertier
Viollet-le-Duc va donc être l’architecte de la renaissance et de la reconstitution du Trésor de la cathédrale. Nombre de pièces viennent de son esprit mais également de ses reprises médiévales ou plus tardivement des biens anciennement présents dans le Trésor, comme pour le Grand ostensoir où il combine le thème solaire du XVIIIème siècle et l’aspect médiéval.
Grand ostensoir (1867), Placide Poussielgue-Rusand
Le Trésor de Notre-Dame de Paris a connu moult mésaventures. Il est représentatif de l’Histoire de France. Si les merveilles médiévales ont en grand partie disparues, la volonté spirituelle ou politique de nombre d’acteurs a permis de toujours redonner vie à un Trésor pour la première des cathédrales de France. Eugène Viollet-le-Duc a pris quelques liberté mais à permit de redonner une consistance au Trésor. Après l’incendie de Notre-Dame de Paris, le Trésor est secouru et quitte la cathédrale. Le 8 décembre 2024, avec la réouverture de la cathédrale, de nouvelles œuvres du culte vont rejoindre la cathédrale et son Trésor comme pour marquer la continuité de l’Histoire de France par le Trésor de Notre-Dame de Paris.