Raconter Artemisia, c’est avant raconter une période où la réussite est fort diffiicle pour une femme, mais elle sera de son vivant une artiste caravagesque reconnue. Simon Vouet la représente avec un médaillon doré représentant le Mausolée d’Halicarnasse qui fut érigé par la Reine Artémise.

Une artiste en formation

Au sein des États Pontificaux, à Rome, Artemisia Gentileschi ouvrit les yeux sur le monde le 8 juillet 1593. Elle est la fille du peintre Orazio Gentileschi et de Prudenzia di Ottaviano Montoni. Orazio, maniériste, peint pour la Cour de France et notamment pour le Palais du Luxembourg, la résidence de Marie de Médicis une œuvre formidable : La félicité publique triomphant des dangers.

Il est nécessaire d’évoquer le père d’Artemisia car elle entre dans l’atelier de celui-ci où elle travaille la matière, les couleurs, les dessins, les angles, des proportions, … Caravage est un familier de son père, que l’artiste aurait pu rencontrer, et aura donc une certaine influence sur Artemisia. est Suzanne et les Vieillards sans doute sa première œuvre, réalisée en 1610. De la même époque, est conservée une Vierge de l’Annonciation, qui fut longtemps attribué à son père, réalisée par la jeune Artemisia de 17 ou 18 ans. Le réalisme de l’œuvre est saisissant alors que le caravagisme est déjà un peu présent avec un contraste et un clair-obscur nuancé.

Alors placée sur des rails, la vie de la jeune Artemisia ne devait pas dérivée jusqu’à ce que son père donne à la jeune artiste un professeur privé : Agostino Tassi. En 1611, Artemisia est violée par son enseignant … un mariage existe mais il n’est pas tenu et à la suite d’un procès, dès plus éprouvant pour la jeune fille, son honorabilité est rétablie. Artemisia va peindre plusieurs œuvres ayant pour thématique la décapitation d’Holopherne par Judith comme c’est le cas de Judith et sa servante. Le caravagisme est évident dans cette œuvre, on y remarque le contraste avec fond noir et un éclairage fortement ciblé sur les personnages : le clair-obscur.
Bien que rétabli, son honneur demeure fragile, son père la marie donc avec une de ses connaissances : Pierantonio Stiattesi.
De petite taille, son œuvre Danaé de 1612 est un tableau destiné à la sphère privée au vue de l’érotisation de sa thématique. Artemisia s’est sans doute appuyée sur le style de son père dans la composition et l’usage de la couleur.

Une artiste à la Cour des Médicis

Florence est à l’époque un foyer artistique incontournable. Artistes, musiciens, poètes, érudits y sont présents et permettent donc à Artemisia d’explorer sa pratique et sans doute de progresser. Dans une société toujours masculine, elle est la première femme à intégrer l’Accademia deli Arti dell Disegno (Académie du Dessin) de Florence. Elle obtient la protection du Grand-Duc de Toscane Cosme II et de son épouse. Sa toute nouvelle position lui permet de travailler au grand-œuvre du neveu de Michel-Ange, à savoir réaliser une maison à la mémoire de son aïeul. Ainsi donc, entre 1615 et 1616 Artemisia va réaliser un décor de plafond dont une partie est formidable de talent : Allégorie de l’Inclination. L’œuvre est un chef d’œuvre d’anatomie, de couleurs, d’un naturalisme fort. Tenant une boussole, l’allégorie pointe vers l’étoile impliquant les liens de Michel-Ange avec la science et les travaux de Galilée.
Cosme II fera l’acquisition de nombre d’œuvre d’Artemisia et notamment son Autoportrait en joueuse de luth (peint entre 1614-1615). L’artiste se met en scène de façon élégante, riche et favorable, on pourrait penser à un acte de publicité. L’œuvre est sans doute surtout une manière de dire qu’elle appartient à la grande société intellectuelle de Florence.


Signée « Artemisia Lomi », sa signature florentine, l’artiste fait un travail important sur les matières du vêtement, de la fourrure et s’éloigne du caravagisme sur la représentation du chevalier de l’ordre de Saint-Étienne.
Malheureusement, les ambitions haute du couple vont le mettre en grandes difficultés financières. De fait, le couple bien mal sorti rentre à Rome ou chacun pourra vivre de son côté, en 1620.
Une artiste indépendante
Artemisia s’installe donc seule à Rome avec ses enfants. Elle essaye d’intéresser deux de ses filles à la peinture, ce qui sera peine perdue. Son succès et ses commandes ne sont pas aussi nombreuses à Rome qu’elles le furent à Florence Elle se serait donc installée quelques années à Venise dans un but purement commercial et financier. À son retour à Rome, elle exerce toujours son caravagisme avec son œuvre Yaël et Siséra. L’épisode tiré du Livre de Juges représente une femme prête à tuer un homme endormi dans une sérénité qui n’a que pour égal la violence à venir. Le bras en diagonale de la femme semble nous indiquer la signature d’Artemisia sur la colonne. Le clair-obscur et les couleurs offre une vivacité à l’œuvre et font montre du talent de l’artiste.

Artemisia aura à cœur de représenter l’héroïsme et surtout l’héroïsme au féminin. Pour ce faire, elle fait appel à la légendaire Reine d’Égypte : Cléopâtre. Dans un espace sombre, l’artiste réalise un nu surprenant de par ses formes, sa sensualité, sa théâtralité, son émotion, son érotisme et surtout son héroïsme. En y regardant de plus près, l’on peut aisément se demander si l’artiste n’a pas confiée les traits de son visage pour représenter la légendaire Reine.

Allant plus loin que l’héroïsme, Artemisia représente l’érotisme en usant de thème antiques comme prétexte et dans la suite de Caravage. Sa Vénus endormie de 1626 s’inscrit dans la tradition classique en y ajoutant une nuance de caravagisme. Notons le pigment bleu largement utilisé qui était très coûteux à l’époque et qui montre ou démontre que l’artiste vend cher ses œuvres et surtout les vends à une élite romaine.

Une artiste qui s’installe

Artemisia se rend à Naples pour trouver de nouvelles commandes, de nouveaux chantiers, de nouveaux débouchés pour son art. L’invitation du vice-roi d’Espagne la persuade à quitter Venise, victime d’une épidémie de peste, pour son installation définitive à Naples, en 1630. Elle obtient, en 1635, une commande de la cathédrale de Pouzzoles. Quelques années auparavant, le vice-roi avait déjà passé une commande à l’artiste, après l’avoir rencontrée à Rome en 1625. Ainsi vers 1625, Artemisia Gentileschi crée un chef d’œuvre : Madeleine pénitente. Elle représente Marie-Madeleine, en buste, rapprochée, la tête posée sur sa main. Le péché et la tristesse son inhérent de l’œuvre dont la sensualité est renforcée par un clair-obscur nuancé.
En 1638, elle est à Londres sur la demande du Roi Charles Ier et assistera son père alors en résidence sur le territoire britannique. Son père, Orazio, décède à Londres le 7 février 1639.
Le souvenir du père est toujours présent dans l’œuvre d’Artemisia. Elle peint Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles de Lycomède vers 1640. Dans cette œuvre, un grand soin est donné aux détails, au raffinement comme aurait pu le faire son père.

Toujours à Naples, Artemisia Gentileschi continue à peindre encore au moins une décennies puis elle disparait des registres laissant à supposer de son décès en 1656, lors de l’épisode de peste à Naples.
