L’œuvre de Johann Heinrich Füssli nous fait pénétrer dans un univers exceptionnel « entre rêve et réalité », comme l’indique le titre l’exposition du musée Jacquemart André. En effet, l’artiste de l’étrange, qui m’était inconnu, nous propulse dans une réalité à la fois spectaculaire et terrifiante. La formule d’Aristote semble avoir été écrite pour l’artiste : « Il n’y a point de génie sans un grain de folie ! ».
Au cours de la découverte de la soixantaine d’œuvre présentées, je me suis interrogé sur la personnalité de l’artiste qui m’apparaissait comme des plus obscure même s’il semble que l’artiste fût érudit et énergique. Il apparaît comme incontestable qu’il part à la recherche du sublime, de la vérité aussi obscure soit-elle.
Autoportrait, Füssli
Le 7 février 1741, Johann Heinrich Füssli naquit à Zurich, en Suisse. Il est le second enfant du peintre Johann Caspar Füssli, un portraitiste suisse. Il dirige son fils au pastorat et l’envoi à l’Université à Zurich. Il est ordonné pasteur en 1761. Ses positions le poussent à quitter la Suisse. Après un passage en Allemagne, il arrive en Angleterre où il vit de ses talents d’écriture jusqu’à se consacrer à la peinture quelques temps plus tard.
Füssli, l’interprète de Shakespeare
En 1770, l’artiste quitte l’Angleterre pour Rome, où il se confronte à l’œuvre de Michel-Ange et surtout son chef-d’œuvre : la chapelle Sixtine. Füssli est amateur de l’œuvre de Shakespeare et l’idée lui vient à cette époque de représenter diverses scènes en peinture.
John Boydell fonde en novembre 1786, à Londres, la Boydell Shakespeare Gallery. L’idée est d’illustrer les œuvres de Shakespeare tout en faisant connaître des peintres anglais. Füssli, lors de son passage avant 1770, fréquentera très souvent les théâtres et pourra observer le jeu des acteurs et les lumières qui ajoutent au dramaturge.
Ainsi, il sera amené à peindre Puck, un lutin imaginé par Shakespeare pour Le songe d’une nuit d’été. Ce petit lutin est une créature qui provient du folklore irlandais. Füssli le représente surgissant d’une sorte de halo lumineux, ayant réussi à tromper l’homme à cheval. Les couleurs, le travail du corps et des yeux du lutin ajoutent une force au caractère fantastique de l’œuvre.
Robin Goodfellow, dit Puck, 1787, Füssli
Füssli ne pouvait pas ne pas représenter Roméo et Juliette. Il choisit la scène d’amour par excellence. Roméo y est assis devant sa belle, dont il soutient la tête blafarde de la mort arrivant, et, de son autre main, il soulève le voile comme pour la retenir pour un dernier baiser, un dernier instant volé avant son trépas. La lumière blanche réhausse la scène des amants maudits.
Roméo et Juliette, 1809, Füssli
Macbeth est une des pièces les plus populaires à l’époque et c’est ainsi que Füssli avait entrepris une traduction allemande de cette pièce. Ce faisant, l’artiste va s’intéresser à plusieurs scènes. Il signe l’une de ses œuvres les plus fameuses, à mon sens, avec Les Trois Sorcières. La tragédie de Shakespeare raconte comment Macbeth va devenir Roi d’Écosse en commettant un régicide. Les Trois Sorcières vont apparaître à Macbeth et lui annoncer son futur destin. Elles représentent les 3 Parques de la mythologie romaine qui sont les divinités de la destiné humaine, de la naissance et de la mort. La disgrâce de leurs visages donne une vision inquiétante et énigmatique.
Les Trois sorcières, 1783, Füssli
Füssli et l’antiquité
Füssli est, pour ainsi dire, poussé vers la connaissance de l’antiquité dans son séjour à Rome mais également par le biais de l’apprentissage du grec et du latin lors de ses études pour devenir pasteur. L’artiste est attiré par le sublime et le fantastique ainsi il est assez naturel qu’il se tourne vers la mythologie et la puissance des récite que l’on peut retrouver chez Homère dont il dévore l’œuvre.
En 1803, Füssli peint Achille saisit l’ombre de Patrocle. L’œuvre, que vous pouvez retrouver ci-dessous, est très ingénieuse dans sa palette de couleur et également dans la beauté du mouvement et la formation d’une demi-lune. Füssli représente l’âme quittant Patrocle sous la forme d’une ombre insaisissable. Ce faisant, il répond à l’idée d’Homère qui voir l’âme comme le double de l’Homme comprenant en son sein la force et la jeunesse.
Achille saisit l’ombre de Patrocle, 1803, Füssli
La palette de couleur est bien moins large pour Ulysse. Si l’artiste poursuit son voyage dans l’œuvre d’Homère, le pinceau y semble moins vigoureux, l’expression moins travaillée et le style moins affiché malgré les volutes présente çà et là.
Ulysse, 1805, Füssli
Füssli et la religion ?
Comme précédemment évoqué, Johann Caspar Füssli dirige son fils vers des études de théologie pour qu’il devienne pasteur. Ainsi, il n’est donc pas surprenant qu’il œuvre à la représentation biblique. L’Ancien Testament avec la Création et le mythe d’Adam et Ève ne peut qu’être une source d’inspiration pour un artiste en quête de fantastique et d’imaginaire. Sa formation religieuse fait qu’il en connait les grandes lignes et il peut laisser aller son pinceau sur la toile afin de rendre vivant les scènes mythiques de l’humanité.
Le jeune Füssli alors en voyage à Rome et contemplant chapelle Sixtine et l’œuvre remarquable de Michel-Ange a dû apercevoir deux scènes qu’il va lui-même peindre.
Le livre de la Genèse présente la création de Dieu en six jour et notamment la création d’Adam et d’Èvre, l’homme et la femme destinés à se reproduire et à peupler le monde.
L’on découvre donc, sur l’œuvre ci-après, Ève allongée sur un nuage et main jointe au-dessus de sa tête comme descendant des cieux, provenant d’une source de lumière blanche occupée par une divinité au traits féminin. Les courbes y sont extrêmement travaillées, notamment celles du corps d’Adam.
La création d’Ève, 1793, Füssli
Adam et Ève sont envoyés au Jardin d’Eden à leur création. Ce jardin rassemble toutes sortes d’arbres et d’animaux, dont l’arbre de la connaissance du bien du mal dont ils ne doivent goûter le fruit. Malheureusement pour eux, ils sont interpellés par le serpent, animal rusé, qui va les pousser à manger le fruit défendu, Dieu va donc procéder expulser du Paradis, ce que Füssli va représenter. Alors qu’Ève pleure dans sa main droite, des chérubins armés d’épées sont postés à l’entrée du Jardin d’Eden tel que Dieu l’avait annoncé. L’artiste produit ici une scène à son niveau mais en y ajoutant une émotion plapable.
L’expulsion du paradis, 1802, Füssli
Le Cauchemar
Il faut atteindre 1781 pour que Füssli offre à la vie londonienne sa première création non tirée de la littérature mais provenant de son esprit. Cette toile va faire sa renommée et c’est sans doute la raison du fait qu’il va en produire plusieurs versions, la première étant de petite taille et moins riche de détails. On y découvre une femme allongée tête vers le bas pendant dans le vide et sans doute en train de dormir et de rêver à un cauchemar. Même si elle semble plaisir, le second plan nous permet d’apercevoir son songe qui est purement négatif car l’on y découvre un incube et une tête de cheval qui sont désignés à l’époque comme symbolique des cauchemars.
Le Cauchemar, 1810, Füssli
La fascination du public pour le Cauchemar « pousse » Füssli à laisser libre cours à son imaginaire. Ainsi, il va mettre en œuvre la thématique imaginaire et fantastique de la sorcellerie et son pendant la féérie.
La sorcière de la nuit rend visite aux sorcières de Laponie, 1796, Füssli
Füssli et le rêve
La réflexion est intense chez l’artiste qui va dériver du cauchemar pour aller visiter le rêve, sans doute par envie de non plus provoquée mais peut-être de rendre admiratif et jaloux le public qui aura le privilège de contempler l’œuvre.
Dans cette optique, l’artiste peint Lycidas qui porte la question du sommeil. Le jeune homme est assis en plein clair de lune, la composition romantique et sobre ajoute la simplicité à la beauté apparente de l’œuvre.
Lycidas, 1796, Füssli
Nous avons évoqué précédemment l’appétit de Füssli pour les œuvres de Shakespeare, il est à nouveau présent ici avec une scène de la pièce Henri VIII : la demande de divorce du Roi Henri VIII d’Angleterre effectuée, la Reine Catherine d’Aragon sombre vers la mort comme son teint très pâle et sa posture théâtralisée le démontre.
Le rêve de la Reine Catherine, 1781, Füssli
Il convient de terminer cette chronique en évoquant Le songe du berger, une œuvre exécutée par Füssli en 1793. Le berger est assoupi dans ce qui semble être un sommeil profond ce qui permet à un univers surnaturel peuplé de fées d’émerger tout autour de lui. Est-ce la le songe du berger où la vision d’un univers fantastique ? Füssli nous emmène une nouvelle fois dans un univers à la fois étrange, terrifiant, beau, qui attise notre curiosité et nous laisse songeur sur sa volonté de représentation mais également sur nos propres perceptions.
Le songe du berger, 1793, Füssli
L’artiste Füssli semble être un génie du fantastique dans une époque qui n’y semble pas excessivement portée. Ces œuvres pourraient être contemporaines de notre époque tant les sujets traités sont fantastiques et de tout temps mais surtout liées à des superstitions qui sont toujours existantes.
Si l’artiste peint un univers « entre rêve et fantastique » est-ce pour pousser son public à la reflexion où cherchait-il lui-même un exutoire à la réalité, le rêve fantastique ?
Portrait de Füssli, 1817, George Henry Harlow