L’exposition du Musée d’Orsay, « Edvard Munch. Un poème d’amour et de mort » permet de découvrir ou de redécouvrir un artiste assez peu commun qui est l’un des pionner de l’expressionnisme. L’expressionnisme étant un courant artistique qui veut fait naître une réaction émotionnelle au spectateur par, notamment, une déformation de la réalité (les formes, les couleurs, …). Ce courant apparait au début du XXème siècle au moment où la psychanalyse se forme et part à la recherche du symbolisme.
Un artiste Norvégien
Edvard Munch naquit le 12 décembre 1863 à Løten, au nord d’Oslo. Il est le fils d’un médecin militaire issu d’une famille bourgeoise. Sa mère, Laura Catherine, est issu d’un milieu moins aisé mais son attrait pour la peinture la pousse à initier sa fille Johanne-Sophie. Malheureusement après cinq grossesses se chevauchant, elle meurt de la tuberculose, Edvard n’a alors que 5 ans. Karen Marie, sa sœur, devient la mère des enfants, et poursuit l’attrait artistique de sa sœur. En 1877, le malheur touche une seconde fois la famille Munch : Johanne-Sophie meurt d’une forme de tuberculose. Edvard évoque dans plusieurs de ses œuvres le décès de sa sœur, le souvenir de cette perte le poursuit sans doute.
Près du lit de mort, Edvard Munch, 1895
Les sentiments, impressions et émotions liés à la maladie, à la mort et à la tristesse seront assez présent dans ses œuvres, l’on peut donc supposer que sa carrière artistique est liée à l’attrait de la figure maternelle additionnée à un implicite besoin de se soulager de sentiments forts liés à la perte d’être aimés.
Alors que son père le pousse à devenir ingénieur, Edvard décide à ses 16 ans qu’il sera peintre.
Il fréquente un groupe d’étudiant en art et exerce ses talents dans un atelier très modeste mais qui lui permet de progresser et d’être admis en 1885 à l’École Royale de Design d’Oslo.
Ayant un intérêt pour le réalisme français, il met au service de son art la douleur de la mort de sa sœur, et peut-être également d’une peur de sa propre mort. Malgré de grandes difficultés de création et d’exécution, il signe cette année 1885, une œuvre exceptionnelle qui sera mal reçue par une critique très négative.
L’Enfant malade II, Edvard Munch, 1896
En séjour à Paris en 1889, il apprend la mort de son père par un journal norvégien. Le coup est rude pour l’artiste, ne faisant qu’ajouter de la tristesse à son être. A cette époque, il peint sa jeune sœur Inger dans un style s’approchant du néoromantisme, peut-être en quête de se libérer de ses émotions qui l’accablent.
Nuit d’été. Inger sur la plage, Edvard Munch, 1889
Les années suivant cette œuvre sont déterminantes pour Edvard qui décide de retranscrire la réalité par son œuvre mais surtout sa réalité, ses tourments, sa propre vie, son pessimisme qu’il imagine être également la réalité des autres.
Le symbole, un art
Une première exposition de ses œuvres à lieu à Berlin en 1892. Les œuvres d’Edvard sont accueillies comme extrémistes, anarchistes, provocatrices … et l’exposition s’achève. Le scandale qui en résulte est finalement la première des récompenses de l’artiste. L’idée de succès scandale implique qu’un artiste se crée une réputation à la suite d’une réception très négative d’une ou de plusieurs œuvres. Ce scandale va lui permettre d’intégrer un cercle d’artistes qui discute philosophie, psychologie, sexualité et autre sujet jugés sombres.
Munch veut peindre la réalité des choses et quelle meilleure façon de le faire qu’en se prenant comme sujet dans un autoportrait ? L’artiste peindra maintes fois son autoportrait comme pour étudier sa propre évolution artistique. Cet Autoportrait à la cigarette de 1895 laisse apparaître un certain naturalisme dans sa position mais également dans ce décor de théâtral. Il faut surtout noter le regard que l’artiste pose sur son spectateur comme pour le faire entrer dans l’instant qui y est représenté.
Autoportrait à la cigarette, Edvard Munch, 1895
A la même époque, Edvard poursuit sa quête de réalité et accroche le spectateur dans son œuvre Puberté. On y fait la rencontre d’une jeune fille apeurée, observant le spectateur et se confrontant à sa propre sexualité. L’idée d’une peinture biographie peut laisser à penser que Munch se questionne lui-même sur sa sexualité à cette époque.
Puberté, Edvard Much, 1894
En 1893, Much expose à nouveau à Berlin. Les premières toiles exposées sont le début de La frise de la vie. Edvard révèle dans cette frise sa propre expérience et celle de ses proches. Lors d’une venue à Paris, il a pu découvrir le travail de Van Gogh et surtout La Nuit étoilée. Il reprend le thème dans une interprétation personnelle et dans l’idée d’exploiter cette partie de la nature. En regardant bien, l’on trouve trois ombres comme pour indiquer l’existence et la présence de l’artiste.
Nuit étoilée, Edvard Munch, 1922-1924
Il peint, à la même époque, Le Cri qui est sans doute son œuvre la plus célèbre. Il en explique dans son journal l’inspiration : « Je longeais le chemin avec deux amis, c’est alors que le soleil se coucha, le ciel devint tout à coup rouge couleur de sang, je m’arrêtai, m’adossai épuisé à mort contre une barrière, le fjord d’un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang et ravagés par des langues de feu, mes amis poursuivirent leur chemin, tandis que je tremblais encore d’angoisse, et je sentis que la nature était traversée par un long cri infini. » Cette œuvre si aboutie de symboles et de beauté donnera naissance à plusieurs œuvres dans la même palette de couleurs dont Désespoir. Cette peinture nous laisse admirer le soleil couchant dans sa palette ensanglantée. Au premier plan, un groupe de personnes sur un point dont il nous faut seulement étudier le premier accoudé au pont. L’homme peint en héros solitaire semble perdu dans ses pensées sans prêter attention au soleil couchant … Désespoir … l’artiste nous livre-t-il sa lassitude du monde qui l’entoure et sa volonté de se recentrer sur lui-même ?
Désespoir. Humeur malade au coucher de soleil, Edvard Munch, 1892
Une autre œuvre est à signaler : Vampires. Cette composition répond à l’attrait plus ou moins assumé du XIXème siècle pour une reflexion liant vie, amour et mort. Ici, l’homme se réfugie dans l’amour protecteur de sa femme qui en profite pour le dévorer. Peut-on y voir la femme aspirant les forces de l’homme pour en prendre la place ?
Vampires, Edvard Munch, 1895
Au travers de ses quelques œuvres, l’on peut aisément comprendre que l’artiste se lance dans le symbolisme en explorant diverses émotions de l’âme : l’amour, le doute, le désespoir, …
L’artiste représente sa souffrance face à la société qui l’entoure et qui ne peut le comprendre en se montrer angoissé au milieu d’une foule et allant dans le sens inverse de celle-ci, prenant le large comme pour se préserver.
Soirée sur l’avenue Kar Johan, Edvard Munch, 1892
L’art au service de la vie
Les années passent et Edvard et toujours piégé dans ses émotions, ses névroses, son pessimiste, c’est ainsi qu’il peint une nouvelle version de Vampires en 1924. La représentation en pied avec pour fond une végétation importante montre une évolution dans la carrière du peintre mais également une continuité profonde.
Vampires dans la forêt, Edvard Munch, 1924-1925
Au début du XXème siècle, suivant la tendance, Munch reprend ses œuvres comme Vampires ou du moins ses thématiques auxquelles il impose une variation dans sa quête de faire vivre sous son pinceau les émotions. Les jeunes filles sur le pont de 1927 illustre bien ce propos.
Les jeunes filles sur le pont, Edvard Munch, 1927
L’on voit déjà son pont en 1893 avec Le cri ou encore ses jeunes filles présentent dans nombre de tableau même si leur âge et leurs positions évoluent. On les retrouve dans l’œuvre suivante en dames cette fois-ci.
Les Dames sur le pont, Edvard Munch, 1934-1940
L’artiste développe l’idée de la vie, de la santé et des loisirs dans une œuvre aux lignes envoutantes représentant un groupe d’homme se baignant et d’autres en sortant.
Hommes se baignant, Edvard Munch, 1907-1908
Plus surprenant, Munch reprend l’épisode de la mort de Marat en remplaçant Charlotte Corday par Tulla Larsen, son ex-compagne, avec qui ses relations étaient des plus difficiles, notamment la dernière dispute dans laquelle Edvard est blessé par un tir de revolver.
La mort de Marat, Edvard Munch, 1907
La même année, il peint La Meurtrière. Le tableau laisse à penser l’idée que la scène se déroule dans un théâtre tant le décor est ordonné et aux couleurs bien délimitées. La femme présente laisse une atmosphère angoissante renforcée par un sentiment de claustrophobie liée à l’exiguïté de la pièce.
La Meurtrière, Edvard Munch, 1907
« Nous ne mourrons pas, c’est le monde qui nous quitte », Edvard Munch, 1930
Nous retrouvons Edvard isolé dans son être et ses névroses toujours et encore plus obsédantes et usantes.
Autoportrait. Le promeneur nocturne, Edvard Munch, 1923-1924
L’artiste ne peint pas que des autoportraits, il sait également qu’il n’eût pas réussi à saisir l’âme humaine sans ses divers modèles.
L’Artiste et son modèle, Edvard, Munch, 1919
Le tourment aura été élevé au rang d’art par un artiste en quête de vérité. En 1940, les Nazis jugent ses toiles comme « art dégenré », la blessure est profonde pour Munch qui avait l’Allemagne dans le cœur comme seconde patrie.
Nuit blanche. Autoportrait au tourment intérieur, Edvard Munch, 1920
En 1940, après l’invasion allemande, il fait don de la majorité de sa collection personnelle à la ville d’Oslo, à charge de protéger son œuvre.
Le 23 janvier 1944, Edvard Munch quitte les tourments de son âme à 80 ans passés des suites d’une pneumonie.
L’année 1963 voit le sacre de l’artiste avec l’inauguration du Musée Munch à Oslo qui permet d’accéder à son œuvre, sa folie, son génie.
Autoportrait en enfer, Edvard Munch, 1903