Venise occupe une position « stratégique ». Elle est un carrefour entre ce qui fût le Saint-Empire romain germanique, l’Empire Byzantin et l’orient. En effet, Venise sera le second port d’importance au moyen-âge, juste derrière Constantinople. L’histoire de l’Italie est complexe et Venise y figure en bonne place. Le XVème siècle va permettre à la Sérénissime de se rêver capitale culturelle et de prendre place dans ce que l’on appellera le Quattrocento. Cette époque marque les débuts de la Renaissance. À cette époque, Giovanni Bellini et Andréa Mantegna, usagers de la peinture à l’huile, vont faire de Venise une capitale des arts.
Giovanni, artiste en devenir dans l’atelier Bellini
Giovanni serait le fils illégitime de Jacopo Bellini, né en 1435 à Venise. Il grandit près de la basilique Saint-Marc. Son demi-frère Gentile Bellini, né en 1429, démarre son apprentissage auprès de son père. Giovanni va suivre ses traces.
Au sein de l’atelier de Jacopo Bellini, les productions collectives existent et c’est le cas de deux toiles représentant la Vie de la Vierge, à destination de la décoration d’une confrérie religieuse liée à la République de Venise.
Annonciation, Jacopo, Gentile & Giovanni Bellini, vers 1453
Le thème de la Vie de la Vierge est assez répandu à l’époque, les deux toiles nous permettent d’admirer un travail familial des Bellini, bien que d’autres mains aient également dû participer aux œuvres. Des experts ont reconnu la mains des deux frères dans la Naissance de la Vierge : le groupe de femme à gauche de Gentile et le plateau présentée à l’accouchée serait de Giovanni.
Naissance de la Vierge, Jacopo, Gentile & Giovanni Bellini, vers 1453
L’époque est à la sortie du gothique mais également à l’influence Byzantine dont les artistes refluent à Venise après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453. L’on découvre ainsi cette Vierge à l’enfant datée de 1452 où Giovanni utilise le style Byzantin avec cet arrière-plan à la feuille d’or. Notons la proximité de la Vierge et de son fils et cette tendresse qui en découle.
Vierge à l’Enfant, Giovanni Bellini, vers 1452
L’on retrouve également cette influence liée aux migrations avec la Madone de Constantinople que Gentile peint pour un abbé grec où l’on retrouve l’aspect d’une icône.
Madone de Constantinople, Gentile Bellini, 1462-1463
Parallèlement, on observe l’élégance et la couleur d’une œuvre d’inspiration médiévale sous le pinceau de Jacopo Bellini.
Prédelle aux sept saints, Jacopo Bellini, 1462-1463
En 1452, Leon Battista Alberti publie L’art d’édifier. Si la publication est un traité d’architecture, elle exercera également son influence, influence que l’on retrouve dans les œuvres de l’atelier Bellini, en particulier sur l’Annonciation. La perspective, la ville de Venise et ses couleurs y sont représentées. Le travail très délicat des détails dans le bâti réhausse l’œuvre.
Annonciation, Gentile & Giovanni Bellini, 1464-1465
Giovanni, vers la maturité de son art
Andréa Mantegna devient en 1453 le beau-frère de Giovanni. L’artiste de Padoue développe son propre style, ce qui ne laisse pas Giovanni insensible. La rencontre avec Mantegna va faire naître une évolution dans l’œuvre de Giovanni qui va progressivement rompre avec le style bien établi de son père pour se tourner vers les innovations de son temps. Mantegna fait référence à l’antique en introduisant guirlande et parapet que Giovanni reprendra.
Andréa quitte l’atelier en 1460 pour rejoindre Mantoue où il devient peintre officiel de la Cour des Gonzague, il laissera une dernière piste de reflexion pour Giovanni : le travail de sculpteur de Donatello.
L’influence de Donatello est marquée sur l’œuvre de Giovanni par va laisser comme arrière-plan un fonds neutre et va reprendre la façon de porter l’Enfant. Ce faisant Giovanni devient le premier peintre de Madone à Venise et va mettre au travail son atelier et ses assistants pour une production assez élevée.
Vierge à l’Enfant, Giovanni Bellini, 1475
Giovanni aurait-il atteint la maturité de son art avec la Saint-Justine ? Aurait-il enfin trouvé son propre style. Certes il reprend le style de Donatello et le coteau dans la poitrine peut-être un rappel de l’œuvre de Mantegna mais l’on découvre également un style différent avec le drapé aux allures métallique et surtout ce traitement particulier pour l’époque de la lumière provenant de ce ciel bleu au soleil couchant. Le regard de la Sainte est en contre-plongée comme pour suivre la lumière qui apparaît comme étant fondamental dans cette œuvre, cette même maîtrise de la lumière qui sera enviée à Giovanni Bellini.
Sainte Justine Borromée, Giovanni Bellini, vers 1475
Giovanni Bellini en quête d’émotion
Œuvre phare de l’exposition « Giovanni Bellini : Influences croisées » du musée Jacquemart André, le Christ soutenu par deux anges est une œuvre faite d’émotions dans la représentation des personnages mais également pour celui qui l’admire. Le Christ est ici représenté dans des proportions presque humaines mais surtout enveloppé de douceur, une douceur qui contraste avec la mort ici rencontrée au travers de la couronne d’épines, les stigmates sur le corps et par le sang qui coule jusqu’au pagne. Le cadrage rapproché rend la scène presque intime et les deux anges endeuillés font naître une certaine mélancolie dans l’œuvre. La technique de Bellini atteint ici un sommet.
Christ soutenu par deux anges, Giovanni Bellini, vers 1470
Quelques décennies plus tard, l’on retrouve le Christ bénissant qui offre un nouveau témoignage de douceur renforcé par le traitement de la lumière. Le geste simple de la bénédiction, le regard du christ vers le lointain et ses traits de lumières laissant penser à une auréole renforce l’aspect de simplicité et de puissance qui lit le Christ et celui qui pose le regard sur l’œuvre. La sérénité de Christ est assimilée à son message.
Christ bénissant, Giovanni Bellini, vers 1505-1510
On découvre également les petits panneaux de Bellini destinées à un restello, meuble de toilette, privé. Les figures mythologiques et les charmantes allégories donnent une autre vision de l’artiste.
Allégorie, Giovanni Bellini, vers 1490-1495
Le œuvres de Giovanni datées du début du XVIème siècle montre la rupture nette avec le style de Byzance pour aller vers un aspect plus humaniste. Dans la Vierge et l’Enfant (ci-après) l’on retrouve la douceur de la Vierge et une simplicité dans son émotion, une harmonie dans les couleurs et la douceur d’un paysage montagneux qui n’est pas rocailleux, qui évoquerait presque un « petit paradis ».
Vierge et l’Enfant, Giovanni Bellini, vers 1500
Giovanni Bellini, un artiste incontournable
Giovanni n’entend pas se figer et avec la circulation des œuvres et des artistes, les artistes flamands ne sont pas inconnus pour Venise. Ainsi, il s’intéresse aux arrière-plans qu’il va magnifier dans une influence flamande afin de seconder ses œuvres. Plus tard, les arrière-plans deviennent une partie importante des œuvres lui permettant de représenter les paysages de son époque.
Dans l’œuvre suivante, l’on peut observer un horizon lointain et un paysage surprenant avec un port fermé et une forteresse. La Vierge a les yeux baissés vers l’Enfant dont les pieds croisés laissent l’indice de la crucifixion tout comme la croix de Saint Jean-Baptiste dont la croix se retrouve dans les nuages. L’œuvre aussi magistrale que teinte de tristesse est énigmatique pour celui qui la regarde.
La Vierge et l’Enfant entourés de Saint Jean-Baptiste et d’une Sainte, Giovanni Bellini, 1500
L’atelier de Giovanni aura formé la nouvelle génération d’artiste mais il n’est pas encore près à cesser de produire. En 1506, Albrecht Dürer qui séjourne à Venise en dira : « j’ai de la sympathie pour lui. Il est très vieux et toujours le meilleur en peinture. ».
L’artiste ayant plus de 80 ans s’attaque à Noé. Il peint la Dérision de Noé, une œuvre assez surprenante et assez éloignée de ce qui se faisait à l’époque car il se moque de Noé, un personnage presque sacré de l’Ancien Testament. La perspective est surprenante Noé est allongé au travers de l’œuvre à la verticale, l’on y croise au second plan deux fils, l’un qui cherche a couvrir la presque-nudité de son père et l’autre se montre stoïque face à la scène. Entre les deux fils, l’on découvre un autre personnage qui se moque allègrement de Noé … serait-ce sa propre personne que l’artiste peint ici, comme pour clamer sa liberté d’homme âgé face au sacré ?
Dérision de Noé, Giovanni Bellini, vers 1515
Malgré tout, Giovanni reste conventionnel dans la représentation du sacré. La représentation du Paradis est inspirée de naturalisme avec un couché de soleil, l’idée de la lumière étant si importante pour Giovanni. On y voit également Dieu représenté de façon assez sobre, les yeux fixant le bas, la terre, et les Hommes qui y vivent comme pour les inspirer.
Dieu le Père, Giovanni Bellini, vers 1505-1510
Giovanni Bellini meurt en 1516, il quittera le monde avec un réputation immense. Ses œuvres seront reconnues au sein de l’École Vénitienne, dont il fut l’un des maîtres. Il fut le peintre officiel de Venise, il sera remplacé par Titien.