N’ayant jamais entendu parler d’Oskar Kokoschka, c’est par une admirable curiosité que j’ai eu l’envie de me rendre à l’exposition que le Musée d’Art Moderne de Paris lui a consacré. L’on parle souvent de l’histoire de l’œuvre d’un artiste mais, avec Kokoschka, l’on découvre l’œuvre d’une histoire, celle d’un peintre, d’un écrivain, d’un poète engagé dans les tourments de la société de son époque. Il dira : « Je suis expressionniste parce que je ne sais pas faire autre chose qu’exprimer la vie ».
Autoportrait, Oskar Kokoschka, 1917
Expressionniste, il acceptera ce qualificatif, il tentera toujours de retranscrire ses états d’âmes vis-à-vis du monde extérieur. Il fera partie du fauvisme, ce mouvement précurseurs de l’expressionnisme, dont un des maîtres sera Edvard Munch. Il aura vécu 93 ans parmi lesquelles on en dénombre plus de 70 dédiées à retracer la société sur une toile.
Kokoschka, un viennois qui casse les codes
Au bord du Danube, à Pöchlarn, en Autriche, Oskar naquit le 1er mars 1886. Il est le fils de Gustav Kokoschka, descendant d’orfèvres de Prague, et de Maria Romana, fille d’un garde forestier.
Enfant viennois, il intègre en 1904, l’École des Arts Appliqués de Vienne. Un atelier de design réclame l’illustration d’un conte de fée pour les enfants, en 1907, Oskar aura la possibilité de faire faire ainsi ses premières armes en mettant en œuvre la littérature classique dans une œuvre poétique.
Alors qu’il présente une pièce de théâtre mal accueillie par la critique, il se rase la tête pour ressembler à un prisonnier. A cette époque, il rencontre Adolf Loos, un architecte, qui lui apporte un soutien grandement apprécié. Ce soutien comportement la production de nombre de tableaux des membres de la société viennoise de l’époque.
Le joueur de transe, Oskar Kokoschka, 1909
Le style acéré, le regard critique à l’extrême sur les expressions traduisant la vérité du personnage ne sont pas toujours du goût du plus grand nombre. Le psychiatre Auguste Forel se voit portraituré par Kokoschka, il y application une considération des expressions et un arrière-plan irréel, peut-être dans l’idée de rappeler le métier d’Auguste. Ce portrait ne plaira pas et sera refusé par le psychiatre le jugeant appartenant plutôt « du domaine de la psychiatrie qu’à celui de l’art ».
Auguste Forel, Oskar Kokoschka, 1910
Oskar s’engage également dans le renouveau grâce à Adolf Loof qui lui permet de rencontrer Herwarth Walden. Cet éditeur s’apprête à lancer la revue Der Sturm, Oskar participe avec envie à son lancement. Il logera chez l’éditeur communiste dans les années 1910. Kokoschka le considérant comme un modèle de modernité l’immortalise grâce à un portrait.
Herwarth Walden, Oskar Kokoschka, 1910
Ses pas le mènent à enseigner dans une école, en 1911, puis à l’École des arts appliqués de Vienne comme assistant de dessin nu, pendant un an.
L’émotion étant au cœur de l’œuvre de l’artiste, l’amour ne tarde pas à frapper à sa porte. En 1912, Oskar a une aventure avec la musicienne Alma Mahler.
En parallèle de cet amour, Oskar reprend sa quête en cherchant la couleur, les nuances de vert et de bleu dans les Dolomites, en Italie, lors de son voyage en 1913 avec Alma Mahler.
Paysage des Dolomites, Oskar Kokoschka, 1913
Il peint l’un de ses chefs d’œuvre lors de son idylle : La Fiancée du Vent. Alors que se déclare la première guerre mondiale, la liaison amoureuse s’éteint. Il vendra son chef d’œuvre pour acheter un cheval nécessaire à son intégration dans le régiment des dragons impériaux, il fut recommandé par son amis Adolf Loos.
Envoyé sur le front russe, il sera blessé en 1915. Il retourne au front en 1916, comme peintre de guerre et sera à nouveau blessé puis déclaré inapte au combat. La blessure grave qu’il a reçue au front l’oblige à se rendre dans un sanatorium à proximité de Dresde. Rapidement, il court la ville et se rapproche de cercles artistiques de la société de Dresde comme en témoigne l’œuvre ci-dessous, il se fait ami avec des poètes, des actrices, …
Les Amis, Oskar Kokoschka, 1917-1918
Les années passées à Dresde semblent avoir étaient bonne pour l’artiste, notamment du fait de son rapprochement avec des cercles culturels. En 1919, il devient professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Dresde. Parallèlement, sa rupture avec Alma Mahler est une cause de douleur, c’est dans cette optique qu’il commande une poupée à son effigie en 1918. Objet de fantasme, d’auto-thérapie, il se peint en sa compagnie et y trouve du réconfort … en 1922, la violence ressentie le pousse à détruire cette poupée.
Autoportrait au chevalet, Oskar Kokoschka, 1922
En octobre 1923, son père décède. Le chagrin étant ce qu’il est, il abandonne son poste de Dresde et revient à Vienne, où il ne parvient pas à demeurer … Soutenu par son galeriste, Paul Cassirer, il part à l’aventure en Europe puis en Afrique du Nord puis en Orient …
Le marabout de Temacin, Oskar Kokoschka, 1928
Ses pérégrinations le mènent sur les traces de Claude Monet. Ainsi, au printemps 1926, il s’installe à l’Hôtel Savoy, au huitième étage, dans la chambre que Monet occupait lors de ses séjours londoniens. De cette chambre, le point de vue sur la Tamise est élevé et il y peint un chef d’œuvre de couleurs vives et de lumières.
Londres, petit paysage de la Tamise, Oskar Kokoschka, 1926
La recherche de l’émotion, de l’instant pousse Oskar à s’intéresser aux animaux. On y voit son style évoluer, il visite le Regent’s Park, zoo scientifique de Londres, et entame une réflexion sur le comportement animalier et étonnement avec un groupe de chevreuil.
Chevreuils, Oskar Kokoschka, 1926
Il peine à se faire connaître à Paris comme à Londres même si l’exposition qu’il réalise en 1931 à Paris lui attire une critique enthousiaste. Les difficultés économiques de l’époque lui sont défavorable, les tableaux ne se vendent pas tant et ne lui permettent pas une notoriété aussi importante que voulue. N’ayant presque plus le sou, Oskar rentre à Vienne en 1932, la situation est délicate avec l’arrivée du fascisme en Allemagne …
Kokoschka, artiste engagé contre le fascisme nazi
Dès janvier 1933, et l’accession d’Hitler en tant que Chancelier du Reich, il monte au créneau contre les nazis.
Oskar fait partie de ses artistes d’avant-garde qui vont être considéré comme faisant partie d’un art dit « dégénéré », ce faisant cinq de ses tableaux exposés dans les musées de Dresde seront retirés … après 1933, toutes ses œuvres seront retirées des musés allemands, soit environ 600 œuvres décrochées ou saisies par les nazis.
Alors que l’Académie des Beaux-Arts de Prusse est démissionnaire en mai 1933, il écrit une tribune véhémente. Vienne est en pleine ébullition fasciste en 1934 quand sa mère décède …
Parallèlement, en 1934, Kokoschka séjourne à Prague où il rencontre Oldriska-Aloisie, sa future épouse.
Double portrait d’Oskar et d’Olda Kokoschka, Oskar Kokoschka, 1963
En 1935, il part pour la Tchécoslovaquie où le Président Thomas Garrigue Masaryk lui fait obtenir la nationalité tchèque. Alors que l’Europe sombre dans le fascisme, Oskar s’accorde une dernière pose dans la campagne de l’est de l’Europe.
Autoportrait avec un bâton, Oskar Kokoschka, 1935
Les nazis poursuivent leur activité de sape culturelle et mettent sur pied l’exposition itinérante « Entartete Kunst » (« Art dégénéré ») entre Munich, Berlin et Vienne, en 1937 et 1938. Les œuvres d’Oskar figurent dans cette ignoble exposition … Par ailleurs, certaines œuvres dites « dégénérées » sont vendues, telle La Fiancée du Vent …
Au vu du piège fasciste qui se referme sur l’Europe, Kokoschka décide de partir en exil à Londres pour continuer le combat par le biais de la culture et par la représentation des égarements de l’époque. Rapidement, la nostalgie de sa patrie d’adoption se fait sentir, il peint Prague …
Prague – nostalgie, Oskar Kokoschka, 1938
Le régime nazi annexe l’Autriche, l’Anchluss, Oskar est certes horrifié de cet évènement mais surtout du laisser-faire des puissances européennes. La femme nue à peine couverte est saisissante de contraste avec le reste de la scène, elle représente l’Autriche, prisonnière des évènements …
A la suite de l’Anschluss et en réaction à la prise de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne, les puissances européennes signent les Accords de Munich avec le Reich Allemand. Somme toutes, on laisse à Hitler les régions annexées avec la promesse de ne plus en prendre d’autres … Kokoschka est encore une fois horrifié et peint une toile tout en symbole : Prague brule en arrières prend et l’on voit en premier plan l’ogre Mussolini et Hitler grimaçant pendant que la France est allongée et que la Grande-Bretagne détourne le regard … la scène est aussi affligeante que l’est la situation …
L’œuf rouge, Oskar Kokoschka, 1940-1941
Bien que politiquement dans le camp des soviétiques, Kokoschka fût effaré par le Pacte germano-soviétique … il sera sans conteste « ravi » de voir la Russie entrer en guerre contre l’Axe. Ainsi, l’URSS a ouvert un front à l’est de l’Allemagne et les Alliés devraient ouvrir un front à l’ouest … la France devenant une alliée de taille dans la résistance.
Marianne, Oskar Kokoschka, 1942
Kokoschka aura à sa manière reporter sur les évènements de la guerre, même si au début il est frontalement engagé contre l’Allemagne, il devient petit à petit pacifiste. La suprématie de la Couronne Britannique sur les mers sera un avantage non négligeable pour la victoire finale des Alliés, qui sera saluée par Oskar.
Loreley, Oskar Kokoschka, 1941
Kokoschka, artiste européen ?
Toujours sur le sol britannique, Oskar Kokoschka obtient la nationalité anglaise en 1947. Dès lors, il peut à nouveau se rendre sur le continent. A cette occasion, il visite sa famille à Vienne mais n’y reste pas.
Berlin, Oskar Kokoschka, 1966
En cette même année, l’artiste est distingué dans une rétrospective de son œuvre à Bâle, où se trouve l’un de ses chefs d’œuvres, La Fiancée du Vent.
En 1949, le MoMA de New-York lui organise lui aussi une grande rétrospective impliquant son statut d’artiste international. Il poursuivra son œuvre de portraitiste encore un temps.
Pablo Cassals II, Oskar Kokoschka, 1954
Tout au long de sa carrière, l’artiste remet en cause son œuvre, son style mais sera toujours un fort opposant à l’art abstrait qui selon lui déshumanise les sociétés modernes … Dans cette optique, il ouvre, en 1953, une école tournée vers le regard, les expressions, l’image.
L’âge venant, Oskar sera plus ferme dans sa peinture, avec un style différent mais surtout des opinions visiblement plus tranchées.
Time, Gentlemen, Please, Oskar Kokoschka, 1971-1972
Réconcilié avec sa patrie, il reprend la nationalité autrichienne en 1975.
Le 4 janvier 1980, il est victime d’une attaque cérébrale et meurt le 22 février à Montreux, en Suisse, où il sera inhumé.
La promotion de l’artiste se poursuit avec, notamment, l’ouverture de la fondation Oskar Kokoschka par Olda Kokoschka qui y transmet les œuvre lui restant de son époux.
L’Annonciation, Oskar Kokoschka, 1911