Lorsque l’on évoque l’époque médiévale, nombreux sont ceux qui pensent aux batailles, à la vie de Cour ou encore à des trésors. Un trésor ? Dans l’esprit du commun un trésor est une accumulation de richesse dites précieuses comme l’or, l’argent, les pierres précieuses, … l’on oublie donc le patrimoine qui est un trésor à part entière ou encore les reliques. Le musée de Cluny nous rend accessible un trésor de Belgique, celui d’Oignies. Ce trésor est constitué de 42 pièces dont un certain nombre de pièces d’orfèvrerie de culte ou de reliquaire. Ses pièces « dignes d’un Roi » constituent un récit, celui du prieuré d’Oignies et des personnages fameux qui l’ont habité de leur personne puis de leur souvenir.
Reliure de l’évangéliaire d’Oignies (1229-1234), Hugo d’Oignies
Oignies, un prieuré
De passage en Belgique, entre Charleroi et Namur, vous pouvez retrouver les traces du prieuré d’Oignies. Les retrouvailles ne seront sans doute pas très euphorique car il n’en subsiste qu’une partie des bâtiments de style néo-classique du XVIIème siècle, dans un état relativement précaire.
Remontons les siècles vers la fin du XIIème. En l’an de grâce 1187, quatre et leur mère partent de Walcourt. Ils passent par Charleroi et finissent leur trajet à Oignies, un petit hameau à l’est de Charleroi sur la route de Namur. La famille s’installe près de la chapelle Saint-Nicolas, chose d’intérêt, trois des frères sont prêtres : Gilles, Robert et Jean. Le quatrième frère restera laïc mais sera un grand orfèvre : Hugo d’Oignies.
Les trois frères prêtres fondent le prieuré Saint-Nicolas d’Oignies en 1192. La règle de Saint-Augustin y est rigoureusement adoptée. Gilles devient le premier prieur.
Patène dite de Gilles de Walcourt (1228), Hugo d’Oignies
La mère des quatre frères n’est pas en reste car elle fonde une communauté de femme, un béguinage, près du Prieuré. Elle accueillera en 1207 une béguine du nom de Marie de Nivelle.
Les siècles passent et le prieuré demeure malgré les guerres qui frappent le diocèse. La dévotion à Marie d’Oignies permet le développement du prieuré qui doit se réinventer et se reconstruire au XVIIème siècle, une partie de la reconstruction mène à des bâtiments de style néo-classiques.
Calice dit de Gilles de Walcourt (1228), Hugo d’Oignies
La Révolution Française faisant son effet, les chanoines sont expulsés en 1796 et le prieuré est vendu en parcelle. Malgré tout certains chanoines réussissent à rester au couvent jusqu’en 1808.
En 1836, le nouvel acheteur va démolir le cloître et l’église et disperser tout les biens restant … quelques temps plus tard, une glacerie dispose du lieu dans un partie des bâtiments les ouvriers trouveront logement … Après l’incendie de 1973, les malheureux restes du lieu sont classés au patrimoine Wallon. Le prieuré, ou plutôt ce qu’il en reste, sera définitivement sauvé en 1987 lorsque le lieu est racheté par l’association des Amis de l’abbaye d’Oignies.
Marie d’Oignies et Jacques de Vitry
Née en l’an de grâce 1177 dans la commune de Nivelles, Marie est l’enfant d’une famille aisée. Faisant partie de la « bonne société », elle acquiert tôt la conviction de consacrer sa vie à Dieu. Malgré tout, un mariage arrangé est mise en œuvre lors de ses 14 ans. Elle l’accepte mais fait le choix de vivre dans la chasteté, ce que son mari accepte. La piété de Marie finit par toucher son époux qui la suit dans la pratique de la pauvreté et de la piété.
Installés à la léproserie de Willambroux, Marie est souventes fois consultée pour des conseils spirituels et on lui attribue à cette époque des miracles, des guérisons de lépreux.
Devenue trop populaire et trop souvent demandée à Willambroux, Marie de Nivelles quitte la léproserie pour s’installer au béguinage près du prieuré d’Oignies, en 1207.
Elle vient chercher le calme et le recueillement à Oignies, l’intensité de sa spiritualité la rattrape et son engagement au service des autres se poursuit.
Marie d’Oignies, au rosaire (début du XVIIIème siècle)
Très visitée, Marie d’Oignies va recevoir, en 1208, un théologien de Paris : Jacques de Vitry. La personnalité de Marie et celle de Jacques de Vitry sont concordante et il en ressort une relation spirituelle importante qui poussa Jacques de Vitry à quitter Paris et sa carrière universitaire. Faisant forte impression sur Marie, Jacques de Vitry devient confident puis confesseur de Marie. En effet, en 1210, Jacques de Vitry est ordonné prêtre à Paris, dès lors il restera aux côté de Marie jusqu’au décès de celle-ci.
Mitre de Jacques de Vitry
Exemple de sainteté pour Jacques de Vitry, Marie n’en reste pas moins une mortelle qui est prise d’une grave maladie. Elle décède le 23 juin 1213, elle est inhumée dans le cimetière près du prieuré.
En 1216, Jacques de Vitry publie « Vie de la bienheureuse Marie d’Oignies » qui permet une poursuite du culte de Marie. Les pèlerins vont affluer et le corps et les biens de Marie prennent à cette période un valeur spirituelle importante. Dans le trésor, on trouve une relique pour le moins atypique : il s’agit d’une timbale d’argent ciselée par Hugo d’Oignies, renfermant un gobelet de bois qui aurait servi à Marie d’Oignies.
Timbale renferment le gobelet de Marie d’Oignies (1226-1229), Hugo d’Oignies
Quinze années passent et la dépouille de Marie fut prélevée de la terre où elle reposait pour être placée dans un sarcophage de pierre placé dans l’église du prieuré.
Enfin, en 1609, le sarcophage est ouvert et ses ossements sont répartis dans des reliquaires.
Reliquaire de la côte de Marie d’Oignies (1622), Henri Libert
Après le décès de Marie d’Oignies, Jacques de Vitry quitte le prieuré pour occuper d’autres fonctions.
En effet, il fera partie des recruteurs pour la cinquième Croisade. Il devient, en 1216, évêque de Saint-Jean-d’Acre. A la suite de l’échec de la Croisade, il rentre au sein du diocèse de Liège et démissionne de sa fonction d’évêque auprès du Pape, en 1226.
Le Pape Grégoire IX le nomme Cardinal-évêque de Tusculum en 1228. Il sera le doyen du Collège des Cardinaux en 1240.
Triptyque-reliquaire (1230), Atelier d’Oignies
Jacques de Vitry décède le 1 er mai 1240, à Rome. Il lègue ses écrits et ses « trésors » au prieuré d’Oignies. Sa dépouille sera, selon ses volonté, apportée à Oignies afin de son corps soit enterré aux côtés du sarcophage de Marie d’Oignies.
Croix-reliquaire de la Vraie-Croix (1226-1229), Hugo d’Oignies
Hugo d’Oignies, artisan d’orfèvrerie
Si trois frères furent prêtres, le quatrième était laïc. L’on suppose aisément qu’il fut instruit et qu’il savait lire, écrire et compter, compétences nécessaires pour effectuer son œuvre. Certaines de ses œuvres seront signées …
Détail du Calice dit de Gilles de Walcourt (1228), Hugo d’Oignies
On peut supposer qu’il fut apprenti dans les environ de Namur où il aura profité du savoir de Maître d’orfèvrerie déjà établi, savoir qu’il aura magnifié. Les premières pièces de sa production datent de la fin des années 1220, ce qui implique qu’à cette époque Hugo devait avoir ouvert un atelier à Oignies ou à proximité.
Phylactère de Saint André (vers 1230), Atelier d’Oignies
Comme tout métier l’orfèvrerie a ses techniques. On retrouve sur les pièces des ciselures et gravures, des filigranes, des incrustations, des vernis bruns, de l’émail, ou encore des techniques comme l’estampage et le repoussé.
Reliquaire de la côté de Saint-Pierre (1238), Hugo d’Oignies
Les décors d’Hugo d’Oignies s’inspirent de la nature et semble assez simple mais logique mais ils restent néanmoins d’une grande finesse. Ses réalisations témoignent du passé du prieuré, de sa richesse en partie liée à Marie d’Oignies.
Il quitte le monde en 1240 en laissant une œuvre exceptionnelle de talent et de dévotion.
Après Hugo d’Oignies
L’atelier fondé par Hugo d’Oignies continu à être actif encore environ 30 ans après sa mort, jusqu’en 1270. Cela permet la production de nouvelles œuvres dont certaines sont en continuation avec le style du maître et d’autres sont en rupture dans un goût se rapprochant plus du style de l’époque.
Jacques de Vitry laisse au prieuré des reliques, comme celle du lait de la Vierge, qui doivent être magnifiées dans des reliquaires pour les conserver et pouvoir les rendre accessibles aux fidèles, c’est peut-être la raison de la poursuite du travail de l’atelier à la suite de la mort d’Hugo.
Reliquaire du lait de la Vierge (1240-1250), Atelier d’Oignies
Jacques de Vitry laisse également des reliques de Sainte Hedwige, leurs reliquaire sont semblable et associés, des vases constitués d’un gobelet contenant la précieuse relique avec un décor en relief stylisé.
Vases-reliquaires dits de « Sainte Hedwige » (1250), Atelier d’Oignies
D’autres reliquaires sont moins imaginatifs mais plus concrets comme ceux en forme de pieds.
Pied-reliquaire de Saint-Blaise (1260), Atelier d’Oignies
Au XVIIIème siècle, le trésor d’Oignies fut emmuré dans une ferme pour ne pas subir les affres de la Révolution. Il fût à nouveau caché pendant la seconde guerre mondiale. Hugo d’Oignies et son atelier auront offert au monde un trésor incomparable qui nous permet de contempler, d’admirer, le savoir-faire et la précision du travail d’une époque qui parfois peut nous sembler lointaine.
Reliure de l’évangéliaire d’Oignies (1229-1234), Hugo d’Oignies