Il y a 150 ans, le premier Salon des impressionnistes ouvrait ses portes dans l’atelier du photographe Nadar. Suivant de près la fin du romantisme et du réalisme, l’impressionnisme va s’imposer. Le critique d’art Louis Leroy va définitivement donner son nom au mouvement. En effet, dans son article du samedi 25 avril 1874, publié dans Le Charivari, Leroy raconte sa « rude journée » à l’exposition Boulevard des Capucines, accompagné par un peintre. « Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans … Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là ! ». Il fait référence à l’œuvre phare de l’impressionnisme, Impression, soleil levant de Claude Monet. Il usera du titre de l’œuvre pour nommer son article : « L’exposition des impressionnistes ».
Impression, soleil levant (1872), Claude Monet
Le Salon
Depuis le XVIIème siècle, la France est au centre de la scène artistique par bien des égards. En 1673, l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture expose des œuvres de ses membres dans le Grand Salon du Louvre. Bien qu’en changeant les institutions, le lieu, les participants, l’exposition continuera d’exister sous le nom plus simple de Salon.
Malgré les critiques qui furent formulées contre le Salon, il restait nécessaire pour les peintres afin de se construire un nom et de pouvoir trouver des acheteurs. Parmi les critiques, l’on peut évoquer le nombre parfois impressionnants d’œuvres refusées (4 000 œuvres refusées en 1863) et le jury, qui est une extension de la politique culturelle de l’État en acceptant des œuvres, qui pérennisent une certaine vision de l’art sans pouvoir accepter une quelconque nouveauté.
Le Salon de 1874 (1874), Camille Cabaillot-Lassalle
Il est évident que le Salon fait partie des raisons qui ont permis à l’impressionnisme de voir le jour.
L’œuvre ci-dessous permet l’évocation du Salon. On y observe un public élégant et sans doute raffiné, qui sait admirer les œuvres. L’artiste met en scènes les émotions et offre une vitalité chaleureuse. Petit plus, les miniatures qui y sont présentes furent peintes par leurs véritables peintre, c’est donc une œuvre issue de plusieurs mains que l’on découvre.
Une loge aux Italiens (1874), Éva Gonzalès
La Genèse du Salon de 1874
Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, alors Président de la Deuxième République dont le mandat arrive à son terme, fait un coup d’état mettant en place le Second Empire. Le Second Empire est une phase de modernisation importante de la France, et notamment de Paris qui devient un chantier ouvert sous la direction du Baron Haussmann. A cette même époque, l’Exposition Universelle ouvre ses portes en 1855. La France souhaite étendre sa grandeur par le biais de l’art, 5 000 œuvres seront présentées.
Le bal masqué à l’Opéra (1873-1874), Édouard Manet
Dans le même temps, le parcours artistique est toujours le même : le passage par l’École des Beaux-Arts, le séjour à Rome à la Villa Médicis, le Salon annuel, l’obtention de prix et le devenir en tant qu’enseignant à l’Académie des Beaux-Arts. Ce système défend toujours et encore le classicisme et sa copie des œuvres et du style antique. Aucune place n’est laissée à la possibilité d’innovation ou de modernité dans l’art …
Malgré tout, le 15 mai 1863 fait date. Ce jour, et sur la volonté de Napoléon III, s’ouvre le Salon des Refusés. Ce Salon qui va faire scandale est l’occasion de faire découvrir au grand public des œuvres de Cézanne, Fantin-Latour, Guillaumin, Jongkind, Pissarro ou encore Manet. Manet expose Le déjeuner sur l’herbe qui fait scandale et provoque l’hilarité du public … La bataille est encore longue pour les futurs impressionnistes.
Malgré tout, au travers des rencontres à l’École des Beaux-Arts, dans la forêt de Fontainebleau, au part leurs réseaux amicaux les futurs impressionnistes commencent à émerger. Ils continuent d’envoyer des œuvres au Salon, telle l’Olympia de Manet reçue au Salon de 1865 qui fera scandale.
Charge du 9ème régiment de cuirassiers à Morsbronn (1874), Édouard Detaille
En 1870, le guerre franco-prussienne intervient. Napoléon III capitule, le 2 septembre 1870, à Sedan. Il s’en suit la Commune de Paris. Nombre de futurs artistes impressionnistes vont jouer un rôle dans les évènement, dans la Garde Nationale pendant que d’autres se retirent en province ou d’autres encore se retrouvent en Angleterre, comme Monet.
La IIIème République n’est guère plus favorable que le Second Empire à l’innovation et à la modernité artistique.
Parallèlement, le Groupe des Batignolles se forme et se regroupe au Café Guerbois. On y trouve : Édouard Manet, en chef de file, Bazille, Degas, Monet, Renoir, Sisley, Cézanne, Pissarro, …
Le marché de l’art reprend et le marchand Paul Durand-Ruel fait une place à ses nouveaux talents en achetant des œuvres de Manet et en publiant en 1873 un ouvrage rassemblant des œuvres de Courbet, Manet, Pissarro, Monet, Sisley ou encore Degas.
L’élan est coupé par la crise économique de 1873.
Malgré tout, Manet est encore attaché au Salon et n’exposera pas au futur salon impressionniste. Il est reçu au Salon en 1873 avec une œuvre formidable : Le chemin de fer. Gare Saint-Lazare.
Le chemin de fer. Gare Saint-Lazare (1873), Édouard Manet
Création d’une société
La révolte gronde et elle est actée le 27 décembre 1873 par la création de la Société anonyme des artistes-peintres, sculpteurs et graveurs. L’idée principale de la Société est de se passer du Salon pour avoir une visibilité. Un charte assez simple est signée par Monet, Renoir, Sisley, Pissarro, Degas et Prins. Ils seront rejoints une mois plus tard par Berthe Morisot.
Le fonctionnement est lui aussi simple : chaque membre doit verser une cotisation de 60 francs par an et obtient le droit d’exposer deux œuvres, avec un accrochage tiré au sort. 10 % du gain des ventes reviendront à la Société.
Le groupe désirant se doter d’un nombre l’on évoque « La Capucine ». Le nom ne sera pas convaincant et celui d’impressionnistes sera trouvé par la critique.
Boulevard des Capucines, Claude Monet, Première exposition impressionniste, n° 97
Ouverture du Salon de 1874
La Première exposition des Impressionnistes s’ouvre le 15 avril 1874 pour une période d’un mois. Elle a lieu dans l’appartement du photographe Nadar, 35 boulevard des Capucines, à Paris. L’entrée coûte 1 franc au visiteur et le catalogue de l’exposition est à acquérir pour 50 centimes.
30 artistes présentent 165 œuvres sur deux étages, dans des salons tendus de laine brun-rouge.
Rapellons ici que l’impressionnisme implique une formulation des impressions et des sensations des artistes et de leurs caractères, ce qui devait donner un panel d’œuvre des plus intéressants, qui aura permis de bousculer l’immobilisme artistique de l’époque. Telle l’œuvre de Paul Cézanne Une Moderne Olympia, qui sera considérée comme un outrage car présentant l’esquisse d’une prostituée accompagnée de sa servante sous le regard d’un client, totalement opposée à l’œuvre de Berthe Morisot Le Berceau, qui recrée une scène de la vie moderne de la bourgeoisie, sans être réellement en rupture, si ce n’est dans le thème.
Une moderne Olympia, esquisse (1873-1874), Paul Cézanne, Première exposition impressionniste, n°43
Ce 15 avril le triomphe n’est pas là ce sont seulement environ deux-cents curieux qui viennent visiter l’exposition. L’opposition au Salon n’est pas si évidente à fabriquer mais la critique d’art positive et surtout négative va aider à faire connaître l’évènement et ce sont quelques 3 500 visiteurs qui auront le privilège de voir cette exposition qui aura fait naître un nouveau mouvement : l’impressionnisme.
Le Berceau (1872), Berthe Morisot, Première exposition impressionniste, n° 104
La rupture
Comme évoqué précédemment, le Second Empire et la IIIème République privilégient l’art académique aux modèles antique figés dans un classicisme assumé ou résigné. Le nouveau mouvement en marche va à la fois être celui de la rupture et de la tradition. La rupture est consommée par l’abandon de la demi-teinte, de la couleur terne, des convention visuelles au profil de l’harmonie des couleurs, des tons et par l’arrivée d’une lumière dont on n’estompe guère les effets pour la dominer.
La Terrasse au bord de la Seine à Melun (1874), Henri Rouart, Première exposition impressionniste, n° 150
Suivant le sujet de Degas, Renoir fait le choix de représenter une danseuse. La jeune fille est représentée dans un ensemble de couleur clair avec un visage couvrant de son regard l’artiste. La Danseuse est assez nette et sa gestuelle semble étudiée. Elle est représentée sur un océan de couleurs entre le bleu et les gris.
La Danseuse (1874), Pierre-Auguste Renoir, Première exposition impressionniste, n° 141
Edgar Degas semble rester dans une certaine tradition, dans son œuvre Répétition d’un ballet sur la scène, en conservant l’idée des contours, en ne succombant pas aux couleurs, en optant pour une peinture finement appliquée pour faire penser à un dessin.
Répétition d’un ballet sur la scène (1874), Edgar Degas, Première exposition impressionniste, n° 60
Parallèlement, Degas est aussi le peintre de la rupture. En observant les œuvres qu’il présente en 1874, l’on est presque en présence d’une photographie : le mouvement n’est pas figé, les espaces ne sont pas fébrilement comblés poussant le regard à voyager, les perspectives ne sont pas exagérées, la scène semble naturelle, … Il laisse au regard la possibilité d’entendre le morceau jouée par le professeur, la possibilité d’écouter les conversation des jeunes filles et sans doute de se recréer nous même les impressions et les émotions qu’il a ressenties.
Classe de danse (1870), Edgar Degas, Première exposition impressionniste, n° 55
Pierre-Auguste Renoir affiche lui aussi quelques éléments ayant traits à la tradition dans son œuvre Fleurs dans un vase : le thème des fleurs, les différents plans, les contours non fermes mais tout de même visibles, l’harmonie de l’œuvre, le placement dans l’oeuvre ou encore les ombres et des couleurs en demi-teintes.
Fleurs dans un vase (1869), Pierre-Auguste Renoir, Première exposition impressionniste, n° 145
Paul Cézanne expose l’une des cinq œuvres vendues pour 200 francs durant l’exposition. La Maison du pendu est forte de couleurs claires, de lumières, de structures et de contours sur une partie de l’œuvre pendant qu’une autre partie de l’œuvre semble instable comme flou ou mouvante. Cette rupture visuelle crée quelque chose de rassurant et d’inquiétant à la fois, totalement dans l’esprit de formuler ses impressions.
La Maison du pendu (1873), Paul Cézanne, Première exposition impressionniste, n° 42
Peindre en plein air
Engagés dans l’idée de mettre en œuvre la lumière ainsi que les brefs instants, les impressionnistes vont prendre leurs chevalets et aller peindre en plein air pour profiter de ce que la nature a à offrir. Pour ce faire, ils vont faire de la couleur un usage innovant leur permettant de se démarque de la tradition académique qu’ils jugent désuète.
Cette couleur est justement mise au service de la représentation de la beauté perçue par l’œil d’Alfred Sisley : Port-Marly, Gelée blanche. L’usage d’un rose orangée de traces bleutées sur la neige de lignes blanches sur le reflets ne rend l’œuvre que plus magistrale.
Port-Marly, Gelée blanche (1872), Alfred Sisley, Première exposition impressionniste, n° 165
Camille Pissarro nous offre une vision de paix avec ce bois où règne des châtaigniers et où l’on remarque une personne ramassant les fruits de l’arbre. La scène nous semble si familière mais l’on ne peut savoir si là est le message de l’artiste qui joue avec la couleur, l’ombre et la lumière pour brouiller les pistes.
Les châtaigniers à Osny (1873), Camille Pissarro, Première exposition impressionniste, n° 138
Sur une autre thématique, Degas nous apporte une autre vision plus bourgeoise du plein-air, un sujet en vogue : les courses. L’œuvre Aux courses de province mélange les couleurs chaudes et les couleurs froides, les personnages ne sont pas au centre de l’œuvre mais semble presque gêner l’artiste dans sa vision de l’horizons vert de la nature. Le mouvement des chevaux de couses apparaît flou tandis qu’au premier plan le parapluie protège un nourrissons d’une soleil qui semble faire surface sur le parapluie. L’ensemble paraît ordonné au premier abord mais il est plutôt emmêlé et nous invite à la reflexion sur la scène et sur l’impression de l’artiste.
Aux courses de province (1869), Edgar Degas, Première exposition impressionniste, n° 63
Camille Pissarro nous offre la vision d’un jardin public où nombre de dames et de messieurs aiment à se balader. L’on y observe également des enfants et un nourrisson dans sa poussette. La thématique est bien loin de l’art académique.
Le jardin de la ville, Pontoise (1874), Camille Pissarro, Première exposition impressionniste, n° 139
Que veulent les parisiens : une balade à la campagne. Claude Monet nous emmène donc au milieu des coquelicots pour une douce aventure. Les couleurs sont contrastées et passent du clair au foncé, les personnages semblent provenir de la société aisée et partir à l’aventure. L’œuvre invite au calme et l’on peut se demander si ce n’était pas là ce que recherchait Monet.
Coquelicots (1873), Claude Monet, Première exposition impressionniste, n° 95
Berthe Morisot nous offre une esquisse sans doute faire en extérieur devant son sujet, qui s’intègre bien dans cette composition de plein-air. L’œuvre est divisée en deux : la partie haute impliquant la falaise et la mer est forte de contraste entre les teintes utilisée mais la partie basse semble plus uniformisée vers des tons clairs vivaces, les personnages au contours imprécis s’adaptent particulièrement à la composition.
Sur la falaise (1873), Berthe Morisot, Première exposition impressionniste, n° 110
Peindre la « scandaleuse » modernité
En ce dernier quart du XIXème siècle, la vie quotidienne a évoluée tout comme les mœurs, bien loin de l’esprit antique de la vie quotidienne. Les impressionnistes vont avoir à l’idée de représenter la vie moderne, un scandale pour l’époque.
La modernité implique les loisirs, non enfermée dans un salon mais dans la nature, comme c’est le cas pour cette lectrice que nous offre Berthe Morisot. La lectrice est détendue, absorbée dans sa lecture et ayant posé négligemment son éventail et son ombrelle comme pour faire montre de sa liberté d’action. Le verre est fortement décliné dans de belles teintes, il est réhaussé par le vêtement clair de la dame.
La lecture (1873), Berthe Morisot, Première exposition impressionniste, n° 105
Le cache-cache, activité joyeuse et familiale est représentée par Berthe Morisot dans une œuvre qui se veut intime tout en plaçant la nature et les personnages aux mêmes plan comme faisant corps.
Cache-cache (1873), Berthe Morisot, Première exposition impressionniste, n° 106
Eugène Boudin, en voyage à Trouville, peint une scène qu’il a pu voir : les plus aisés vont à la mer pour respirer le bon air. Témoignage de l’époque mais également apprentissage de la peinture en plein air, cette aquarelle démontre une volonté de présenter la vie de ses contemporains.
Plage à Trouville (1869), Eugène Boudin, Première exposition impressionniste, n° 22
L’époque est également à la découverte, aux voyages pittoresque. Berthe Morisot nous offre la pose d’une belle dame devant le port de Lorient.
Vue du port de Lorient (1869), Berthe Morisot, Première exposition impressionniste, n° 107
Degas va permettre au public aisé d’observer la vie des « petites-gens » dont les conditions de vie riment avec difficultés, pénibilité … La Repasseuse nous présente une vision du Paris du XIXème siècle, loin de la vie mondaine. Les contours sont marqués pour mettre en avant le mouvement mais le visage s’agrémente d’un flou laissant à imaginer les émotions et les difficultés de la femme représentée.
La Repasseuse (1869), Edgar Degas, Première exposition impressionniste, n° 61
La modernité est aussi présente dans les bruits, l’activité de l’époque comme le représente Claude Monet dans son œuvre Le Havre. L’harmonie des couleurs sur les tons grisés reflétant le matins et le départs des bateaux est prenante, magnifique et fait naître nombre d’expressions. Les détails de l’œuvre sont tout aussi essentiels : la subtilités des couleurs du port, les lampadaires et les personnages, les bâtiments aux silhouettes endormies … le monde du travail et de la dureté nous apparaît en pleine face.
Le Havre, bateaux de pêche sortant du port (1874), Claude Monet, Première exposition impressionniste, n° 96
La réalité de l’époque est aussi la mutation industrielle dans les grandes villes et leurs périphéries. Armand Guillaumin usite les couleurs pour donner un air dramatique à sa vue du Soleil couchant à Ivry. L’artiste travaille pour les Ponts et Chaussées et veut mettre en avant la question sociale souvent évitée dans les œuvres de ses contemporains.
Soleil couchant à Ivry (1873), Armand Guillaumin, Première exposition impressionniste, n° 66
Quoiqu’il en soit du succès de cette première exposition des impressionnistes de 1874, elle a posé la base d’un nouveau mouvement. La rupture dans l’art correspond également à la rupture d’une société qui se cherche tout en continuant d’apparaître dans des lieux de culture comme le théâtre, la Montmartroise dans La Loge de Renoir en est un bon exemple.
La loge (1874), Pierre-Auguste Renoir, Première exposition impressionniste, n° 142
L’impressionnisme est resté l’un des courant les plus populaire et pour cause il a pour objet de décrire factuellement une réalité matérielle et humaine et transmettre au spectateur des émotions et des impressions.