L’Atelier rouge, œuvre et atelier

Natif du Nord, Henri Matisse fut élève de Gustave Moreau. Il participera de plusieurs mouvements de l’Impressionnisme au postimpressionnisme. Sa carrière le mène à œuvrer dans la peinture, le dessin, la gravure et la sculpture.

Henri Matisse et son atelier

En 1905, Matisse établit son premier atelier dans l’ancien couvent des Oiseaux, dont il est l’un des locataires. Lors de la mise en vente du couvent, en 1909, Henri Matisse et sa famille déménagent en banlieue, un choix dicté par une situation financière inconfortable et le besoin d’espace pour pouvoir bâtir l’atelier qui lui convienne. La famille s’installe donc à 6 kilomètres de Paris, au 92 avenue du Général de Gaulle à Issy-les-Moulineaux. La maison est agréable, le jardin est grand et l’artiste pourra utiliser une espace proche de la maison pour y faire bâtir son atelier.

Henri Matisse dans son atelier d’Issy-les-Moulineaux (1909), Henri Manuel

Henri Matisse dans son atelier d’Issy-les-Moulineaux (1909), Henri Manuel

A l’été 1909, Matisse fait appel à la Compagnie des Constructions Démontables et Hygiéniques pour concevoir et bâtir son atelier. L’atelier aura la forme d’un carré de 10 mètres de côtés, une toiture de deux versants reposants sur une charpente en fer, tandis que le parquet, le sol et la couverture intérieure de la toiture seront en panneaux de sapin. Recouvert de tôles, le toit laissera une ouverture de verre de 7 mètres de longs sur 3,50 mètres de large permettant de laisser entrer la lumière.

Lettre du constructeur (1909)

Lettre du constructeur (1909)

En plus de l’atelier, Matisse commande un porche pour l’entrée et une petite remise couverte à l’arrière du bâtiment.
L’atelier est livré en septembre 1909. La photo de 1911, ci-dessous, nous permet d’apercevoir l’atelier dans sa réalité.

Atelier de Matisse à Issy-les-Moulineaux (1911)

Atelier de Matisse à Issy-les-Moulineaux (1911)

L’Atelier Rouge

Sergeï Chtchoukine commande deux toiles à Matisse, en 1911. L’artiste peint L’Atelier Rose, au printemps, et L’Atelier Rouge, à l’automne. Dans ses deux œuvres, Matisse utilise son atelier comme « modèle » et nous laisse un témoignage important quant à sa conception de son espace de travail et va peindre dans les deux œuvres des miniature de ses œuvres. Il est intéressant de regarder les espaces où la peinture terre de Sienne est absente : on y découvre que le rouge est un ajout tardif, l’œuvre comportait du bleu, du rose, de l’ocre, et des bandes de vert sur les murs de l’atelier. En effet, Matisse a recouvert les murs et le sol de la pièce en rouge sans doute un mois plus tard. Retrouvant un poil de pinceau sur l’œuvre on peut supposer d’un mouvement rapide et déterminer de l’artiste pour recouvrir les anciennes couleurs de fonds. Il n’est pas inopportun de rappeler que les murs de l’atelier de Matisse étaient gris, la couleur apposée y est donc un choix de l’artiste. Au centre de l’œuvre, l’on découvre une horloge sans aiguille sans doute pour signifier l’arrêt du temps et de l’espace dans l’œuvre.

L’Atelier rouge (1911), Henri Matisse

L’Atelier rouge (1911), Henri Matisse

Il est intéressant d’entrer dans L’Atelier Rouge et de découvrir les œuvres que Matisse a représenté. Il y figure onze œuvres peinte sur les treize années précédentes, Matisse possède encore ses œuvres en 1911, l’on se demande donc si elles étaient ainsi disposées dans l’atelier au moment où l’artiste prend son pinceau. 

Encore dans son atelier près du Sacré-Cœur, Matisse peint Nu à l’écharpe blanche. Inspiré par le modèle Loulou Brouty, la toile finale semble avoir subie quelques modifications notamment le passage de la position plus horizontale vers la position finale.

Nu à l’écharpe blanche (1909), Henri Matisse

Nu à l’écharpe blanche (1909), Henri Matisse

Corse, le vieux moulin est une œuvre plus personnelle qui rend compte des six premiers mois de son mariage passés en Corse et de l’importance liée à ce séjour personnel.

Corse, le vieux moulin (1898), Henri Matisse

Corse, le vieux moulin (1898), Henri Matisse

En bas, à gauche de l’œuvre se trouve une faïence stannifère de la main d’Henri Matisse.

Nu féminin (1907), Henri Matisse

Nu féminin (1907), Henri Matisse

Un portrait masculin, peu courant dans l’œuvre de Matisse, se glisse dans l’atelier. L’artiste peint ce jeune marin lors de l’un de ses séjours à Collioure. Les couleurs sont vives et seront quelques peu rendue plus cohérente avec l’œuvre.

Jeune Marin (1906), Henri Matisse

Jeune Marin (1906), Henri Matisse

Cyclamen est une des toiles florales que Matisse peint à Issy-les-Moulineaux sans doute inspirées des fleurs de son jardin. L’on note que l’œuvre est rendue abstraite dans L’Atelier Rouge pour la mettre en valeur.

Cyclamen (1911), Henri Matisse

Cyclamen (1911), Henri Matisse

Baigneurs est inspiré de l’œuvre de Cézanne, fortement apprécié par Matisse qui avait acquis Trois Baigneuses en 1899. Il utilise la méthode de Cézanne en laisse des zones sans peintures pour donner l’impression de l’inachevé. L’œuvre est grossièrement représentée dans L’Atelier Rouge.

Baigneurs (1907), Henri Matisse

Baigneurs (1907), Henri Matisse

Matisse peint des figures monumentales comme Le Luxe (II), reprenant des figures humaines simplement représentées dans un extérieur. Dans L’Atelier rouge, les figures sont recouvertes de rouge pour aller vers le ton brun, extraeuropéen.

Le luxe (II) (1907-1908), Henri Matisse

Le luxe (II) (1907-1908), Henri Matisse

L’on retrouve également plusieurs sculptures à but décoratives dans L’Atelier Rouge.

Figure décorative (1908), Henri Matisse

Figure décorative (1908), Henri Matisse

Le chemin de l’œuvre

Refusée par Chtchoukine, Matisse doute des qualités de son œuvre et L’Atelier Rouge sera enfin présentées à Londres, en 1912, lors de la « Seconde Exposition postimpressionnistes ».

Une salle de la « Second Post-Impressionnist Exhibition » (1912), Roger Fry

Une salle de la « Second Post-Impressionnist Exhibition » (1912), Roger Fry

Reçu pour des œuvres (1912)

Reçu pour des œuvres (1912)

Une autre œuvre, cette fois-ci à dominante bleu, est présentée en 1912 aux côtés de L’Atelier Rouge : Poissons rouges et Sculptures. Cette peinture nous offre un nouvel aperçu de l’arrière de l’atelier et la petite porte donnant sur la remise.

Poissons rouges et Sculpture (1912), Henri Matisse

Poissons rouges et Sculpture (1912), Henri Matisse

L’Atelier rouge voyage ensuite jusqu’aux États-Unis. New-York, Chicago et Boston profiteront de l’œuvre inclue dans l’Armory Show, l’idée étant de présenter aux public des œuvre d’art moderne.

The Armory Show (1913)

The Armory Show (1913)

En 1913, Matisse peint La fenêtre bleu qui nous donne une vue du deuxième étage de sa maison sur l’atelier perdu dans la végétation du jardin. Depuis la chambre maritale, il adopte à nouveau une surface monochrome, le bleu.

La Fenêtre bleue (1913), Henri Matisse

La Fenêtre bleue (1913), Henri Matisse

Finalement L’Atelier Rouge trouve preneur en 1927. L’œuvre part pour le Gargoyle Club (club privé du londonien David Tennant) et sera accrochée dans la salle de bal aux miroirs et admirée part de nombreux artistes. 
Fin des années 30, l’œuvre est confiée à la Redfern Gallery de Londres pour être vendue. Un autre galeriste, Georges Frederic Keller fait acquisition de L’Atelier Rouge en 1945. 
Dès 1946, le MoMA souhaite acquérir l’œuvre mais son propriétaire ne consent à la vendre qu’en décembre 1948. Elle entre dans les collections du MoMA en 1949.
 
Matisse peint toujours et, en 1949, son fils Pierre organise une exposition des œuvres « nouvelles » de son père dans sa galerie de New-York. On y retrouve Grand intérieur rouge qui évoque L’Atelier Rouge mais diffère par le soin et les détails apportés aux objets composant l’œuvre.

Grand intérieur rouge (1948), Henri Matisse

Grand intérieur rouge (1948), Henri Matisse

Laissons le dernier mot à Henri Matisse qui décrit L’Atelier Rouge : « Dans mon atelier le sol est rouge sang-de-bœuf comme dans les carrelages provençaux ; le mur est rouge ; c’est comme si le sang s’était infiltré pour tout teindre ; les meubles sont rouges entourés d’un fil d’or mat. Ce rouge est comme une nuit chaude à l’intérieur de laquelle, venant de la fenêtre à gauche, une intense lumière fait naître ou plutôt ressusciter les autres objets. »

L’Atelier rouge (1911), Henri Matisse

L’Atelier rouge (1911), Henri Matisse