Le 21 janvier de l’année 1845, Harriet Backer naquit à Holmestrand, au sud d’Oslo, en Norvège. Elle est issue d’une famille portée par les arts. En effet, son ainée Inga fût chanteuse, Agathe sera pianiste et Margrethe une peintre.
En 1860, la famille s’installe à Oslo, ce qui permet à Harriet d’intégrer les cours de peinture pour femmes de Johan Frederik Eckersberg, une formation réputée à l’époque.
Il est important d’avoir à l’esprit que la Norvège est une société beaucoup plus égalitaire que la France à l’époque. De fait, Harriet accordera une place importante aux femmes dans son œuvre mais admettra ne pas vouloir mélanger l’art et la politique car sa pensée est que l’art n’est pas politique.
Autoportrait (inachevé) (1910), Harriet Backer
Pionnière de l’art norvégien, Harriet Backer développe sa peinture entre l’impressionnisme et le réalisme. Bien qu’aussi renommée d’Edvard Munch en Norvège, elle demeure méconnue en dehors de la Norvège.
Intérieur, le soir (1896), Harriet Backer, National Museum, Oslo
Entre Munich et Paris, une formation européenne
Depuis sa tendre enfance, Harriet manifeste un attrait pour le dessin et la peinture. L’époque est à l’apprentissage en fréquentant les grandes capitales européennes. Ainsi, en 1866, Harriet rejoint sa sœur Agathe qui étudie le piano à Berlin. Quelques années plus tard, les deux sœurs visitent Florence où Harriet étudie dans l’atelier d’une peintre Suisse.
Harriet a soif d’apprendre et choisit le dynamisme artistique de Munich, en 1874, pour parfaire son art et va étudier avec Eilif Peterssen. Munich est aussi le moment des rencontres : elle fait connaissance de Kitty Kielland, une peintre, qui va devenir l’une de ses proches amies
Comme tout peintre en apprentissage, Harriet fréquente les musées dont l’Alte Pinakothek qui regroupe des œuvres d’art européen du XIIIème au XVIIème siècle. Elle va s’inspirer des œuvres germaniques et peindre Un érudit dans son étude, dont le décor est typiquement flamand. Elle ajoute un sablier qui renseigne de la nature fugace et fragile de l’humanité.
Un érudit dans son étude (1877), Harriet Backer
Elle expose à Munich et également à Oslo. Son œuvre Dans le quartier des domestiques aux airs caravagesque par ses personnages mi-corps, la lumière arrivant de l’extérieur du tableau en un clair-obscur ou encore par l’usage de diagonales. Cette œuvre sera acquise par le Roi de Norvège Oscar II, en 1877, une marque de reconnaissance pour l’artiste.
Dans le quartier des domestiques (1877), Harriet Backer
En 1878, avant de quitter Munich, elle offre L’Adieu. L’œuvre nous livre sans doute une partie intime de l’artiste qui a quitté ses parents pour aller à l’étranger. Ce qui est également remarquable dans cette œuvre n’est autre que le soin apporté aux détails, aux textures, aux visages expressifs. Cette œuvre est aussi une occasion pour Harriet de représenter un intérieur de l’époque ainsi que ses contemporains.
L’Adieu (1878), Harriet Backer, National Museum, Oslo
Harriet quitte donc Munich en 1878. Elle s’installe à Paris avec son amie Kitty Kielland pour une période de dix ans. L’installation n’est pas due au hasard. En effet, elle pouvoir perfectionner son talent au sein de l’Académie de Mme Trélat de Vigny sous la supervision de Léon Bonnat et de Jean-Léon Gérôme.
Bien qu’installée à Paris, les souvenir de son séjour en Bavière sont une douce inspiration pour sa peinture. Solitude met en œuvre un intérieur néo-renaissance très germanique, sur les conseils de Léon Bonnat elle y ajoutera la dentellière dans ses pensées. Exposée au Salon de 1880, l’œuvre est reçue avec une mention honorable.
Solitude (1878-1880), Harriet Backer
Les détails dans l’œuvre d’Harriet sont très précis et d’une exécution irréprochable, sans doute inspirés par le travail des impressionnistes. L’artiste va, cependant, abandonner ses réflexes académiques pour s’orienter vers le travail des couleurs, l’art subtile des teintes et la pose de la lumière. Elle exposera Intérieur bleu à l’exposition d’art Nordique de Copenhague en 1883.
Intérieur bleu (1883), Harriet Backer, National Museum, Oslo
Comme indiqué en introduction, la question égalitaire est beaucoup plus présente en Norvège. De fait, ses amies d’alors Kitty Kielland et Ragna Nielsenn vont fonder une association pour les droits des femmes en 1884. Harriet y adhérera plus tardivement car sans doute trop accaparé par sa peinture, à cet effet, son amie Kitty la peint dans son atelier. L’œuvre nous laisse apercevoir un portrait de Kitty posé sur le chevalet.
Harriet Backer dans son atelier, Paris (1883), Kitty Kielland, Lillehammer
Le séjour à Paris est l’occasion de visiter, de s’inspirer de l’architecture française, de découvrir dans des musées des joyaux de toutes époques en prolongement des observations réalisées à Munich et par là même de renforcer son style, son identité artistique.
Au musée de Cluny (1885), Harriet Backer
Paris est une atmosphère dont elle s’imprègne. Sur bien des plans, le Paris de l’époque est un espace de liberté pour la bonne société qui jouit des plaisirs des arts et de la musique. Elle quitte Paris pour Oslo, en 1888.
Musique, Intérieur à Paris (1887), Harriet Backer, National Museum, Oslo
La musique au cœur de la vie
Évoquer Harriet Backer sans évoquer la musique, ce serait oublier un aspect fondateur de l’artiste. En effet, Harriet grandit dans une famille où la musique occupe une place importante. Redisons-le Agathe, sa sœur, deviendra l’une des compositrices l’un plus importante de son époque en Norvège. Il convient de se resituer dans l’époque : les filles de la bourgeoisie apprenaient souvent le piano avec les femmes de leurs familles.
Au piano de mon arrière-grand-mère (1921), Harriet Backer
La peinture fait largement appel à la vue. Harriet va se mettre en quête d’autres sens : l’ouïe pour le piano ou encore l’odorat suggéré sur diverses œuvres comme Lavande.
Lavande (1914) Harriet Backer, Bergen
Son neveu, Johan, sera également un compositeur, on le retrouve à l’écoute d’Agathe qui est installée au piano.
Musique, Intérieur à Kristiana (1890), Harriet Backer, National Museum, Oslo
À Paris, Harriet partage un appartement avec son amie Kitty Kielland. Elles y reçoivent leurs amies dont Asta Lie, une écrivaine, représentée dans l’œuvre Chez moi par Harriet. L’écrivaine joue au piano, piano qui fut le premier meuble des deux amies. En effet, dans l’œuvre de l’artiste, l’on retrouve souvent des portraits de ses proches associés à un instrument de musique ou en jouant. L’œuvre sera présentée à l’Exposition Universelle de 1889 et recevra une médaille d’argent, une nouvelle reconnaissance de son travail.
Chez moi (1887), Harriet Backer, National Museum, Oslo
L’intérieur comme obsession
En 1881, l’artiste est alors en France et va visiter la Bretagne en compagnie de deux amis peintres, Kitty Kielland et Germain Pelouse. Elle va étudier les variations de la lumière en peignant l’intérieur d’une ferme le matin et le soir, afin d’étudier l’atmosphère changeante à la manière des impressionnistes. La lumière de la soirée va créer un clair-obscur dans une scène assez simple.
Intérieur de Rochefort-en-Terre, Bretagne (1882), Harriet Backer, The Royal House of Norway, Oslo
De retour en Norvège, Harriet poursuit son étude grâce à une vision des gens simple et authentiques, qui ne sont toutefois pas le sujet principal de ses œuvres mais une simple composante d’atmosphère.
Intérieur de ferme, Skotta, Boerum (1887), Harriet Backer, National Museum, Oslo
La lumière est au cœur de son œuvre mais elle n’oublie pas les couleurs et leurs effets. Ses influences sont diverses mais l’on ressent une simplification des textiles préparée. Femme cousant offre une belle vision des recherches de l’artiste et nous fait entrer dans le quotidienne des femmes de l’époque.
Femme cousant (1890), Harriet Backer
Harriet va souventes fois représenter les tâches dévolues aux femmes dans ses œuvres pour rendre témoignage des progrès à faire pour parvenir à une égalité des genres. Parfois, elle montre les progrès du XIXème siècle, comme dans À la lumière de la lampe, la femme prend du temps pour l’oisiveté de la lecture, symbole d’une alphabétisation et de l’entrée des loisirs dans le quotidien féminin.
À la lumière de la lampe (1890), Harriet Backer, Bergen
Œuvre sublime, Femme cousant à la lueur de la lampe montre le talent de l’artiste mais également son intérêt pour la peinture du nord du XVIIème siècle et notamment Rembrandt dont elle a pu voir des œuvres à Paris. La lueur de la bougie aide à créer un clair-obscur important nous faisant entrer dans une intimité. Notons la modernité de l’œuvre grâce à la machine à coudre, invention récente, présente dans l’œuvre comme pour figurer les progrès de l’époque.
Femme cousant à la lueur de la lampe (1890), Harriet Backer, National Museum, Oslo
Rites et reflets intérieurs d’églises
Si Harriet Backer peint des intérieurs, elle va préciser son sujet avec les intérieurs d’églises et le rite religieux. Son choix va vers les églises luthériennes de conceptions anciennes. Elle va tirer une partie de sa renommée de cette attention particulière portée au patrimoine et surtout aux éléments architecturaux formés de bois, de pierre, de couleurs, …
L’Exposition d’Automne d’Oslo de 1891 est le moment propice pour présenter son nouveau sujet au travers de L’Autel dans l’église de Tanum, dont une esquisse est à voir au-dessous. A cette même époque, elle crée son école de peinture qui sera fonctionnelle jusqu’en 1909.
Intérieur de l’église de Tanum (1891), Harriet Backer, Bergen
L’église de Tanum est un édifice en pierre du XIIème siècle. La scène surprend le spectateur : à droit une jeune femme de dos fait fonction de repoussoir vers le groupe qui est proche de franchir le seuil ; la lumière vient de l’extérieur avec ce groupe qui arrive dans l’édifice ; le jeu de couleurs de leurs contrastes et nuance révèle toute la palette de l’artiste. L’œuvre sera présentée à l’Exposition Universelle de Chicago, en 1893.
Baptême dans l’église de Tanum (1892), Harriet Backer, National Museum, Oslo
Les relevailles sont une cérémonie religieuse oubliée à notre époque. L’idée est d’accueillir à nouveau les femmes ayant récemment accouchées. La pratique se poursuivra jusqu’à la fin du XIXème siècle.
Relevailles, sacristie de l’église de Tanum (1892), Harriet Backer, Bergen
Quatres années durant, Harriet va aller travailler dans l’église de Stange. Il faut dire que le frère de son amie Kitty en devient le prêtre en 1897. Ainsi, Harriet à libre accès à l’édifice lui permettant d’étudier le lieu et d’en faire ressortir le meilleur sous ses traits. La sacristie est un lieu propice du fait du jeu de lumière et de ses reflets sur la pierre qui représente à eux-seuls un défi pour l’artiste. Notons l’arbre, symbole important du sacré païen ou chrétien, que l’on aperçoit par la fenêtre.
La sacristie de l’église de Stange (1903), Harriet Backer, Bergen
À partir de 1904, Harriet se rend tous les étés à l’église d’Uvdal. L’édifice de bois construit à l’époque médiéval et accueillant des peintures du XVIIème siècle est un lieu qui ne peut qu’inspirer l’artiste. Ses couleurs et son architecture font que les monuments historiques de Norvège vont la protéger à partir de 1901. Harriet nous en offre une vision délicate et précise de nombreux détails faisant la noblesse du monument.
Intérieur de stavkirke d’Uvdal (1909), Harriet Backer, Bergen
1898, Harriet est nommée au sein du Comité d’acquisition de la galerie nationale de Norvège, ce qui lui permet de mettre en avant des peintres parmi ses contemporains.
Extérieurs
Comme il fut expliqué plus tôt, Harriet aura tendance à se focaliser sur les intérieurs. Malgré tout, le naturalisme parisien et ses études de l’impressionnisme vont la pousser à suivre la tendance de la peinture en plein-air. Comme elle le fit très souvent, Harriet va représenter la simplicité d’un quotidien moderne avec les blanchisseuses mais si le sujet est simple la technique ne l’est pas. Les coups de pinceaux laissent apercevoir l’impressionnisme mais les figures posées semblent plus réalistes.
Blanchissement du linge (1886-1887), Harriet Backer, Bergen
Le talent de la couleur d’Harriet va logiquement s’exprimer dans la représentation extérieure, elle joue avec les reflets dans une tonalité bleutée typique des paysages nordiques.
À Sandvikselven (1890), Harriet Backer, National Museum, Oslo
En 1892, Harriet peint son unique jardin avec La ferme de Jonasberget, l’étude de Monet se ressent dans la façon de peindre de l’artiste, l’œuvre est sublime de détails et d’une sorte de romantisme.
La ferme de Jonasberget (1892), Harriet Backer, Bergen
La vie silencieuse
1903 marque l’ouverture du dernier chapitre de la vie de l’artiste. Elle s’installe dans un atelier à Oslo à proximité de ses amies Kitty Kielland et Asta Norregaard. Son obsession, son fil rouge aura toujours été le travail de la lumière et des couleurs et comme d’autres artistes la vision depuis la fenêtre.
Vue de ma fenêtre (1912), Harriet Backer
Elle expose pour la première fois seule en 1907. L’année suivante, en 1908, elle reçoit la médaille d’or du Mérite du Roi, un véritable honneur pour une artiste. Harriet voit disparaître des personnes tant aimées : sa sœur Agathe meurt en 1907 puis Kitty Kielland en 1910. Sans doute est-ce une raison du fait qu’elle se réfugie à nouveau dans ses intérieurs.
Cuisine, la maison Einabu à Folldal (1920), Harriet Backer Bergen
Dans sa vie silencieuse, l’artiste est passionnée de littérature. Elle a même écrit quelques nouvelles dans son jeune âge. Il est donc assez logique de trouver la représentation de la plus grande bibliothèque privée d’Europe que son propriétaire, Thorvald Boeck va en partie céder à une Société Norvégienne de Lettres. Admirons la couleur des tranches des livres qui surgissent parmi l’aspect vernis des meubles, Harriet montre son attrait pour la littérature en y ajoutant son attraction pour la couleur.
Bibliothèque de Thorvald Boeck (1902), Harriet Backer, National Museum, Oslo
Dans son attrait pour les couleurs et les formes, l’artiste va représenter les plantes tout en continuant d’explorer son propre style.
Intérieur d’Ovre Nanset (1885), Harriet Backer, National Museum, Oslo
N’oublions pas qu’Harriet Backer possède à proximité de son atelier, un second atelier où elle forme des élèves hommes comme femmes. Outre le revenu qu’elle en obtient, c’est là l’occasion de marquer son empreinte sur la jeune génération d’artiste. Nouvel honneur, en 1918, le directeur de la Galerie Nationale de Norvège lui passe commande d’une nature morte. Entre honneur et défi, elle va pouvoir explorer les objets inanimés et leur donner vie, en s’inspirant de Cézanne. Harriet prenant du temps pour ses œuvres, cette nature sera encore sur son chevalet lors de son décès.
Nature morte, dite aussi Image éternelle (inachevée) (1918-1931), Harriet Backer, Tonsberg
Pour accéder à l’intimité d’un ou d’un artiste quoi de mieux que la visite de son atelier ? Harriet laisse Mon atelier peint en 1918 qui nous laisse apercevoir un peu de son intimité. Un canapé aux grandes dimensions, pas de matériel de travail, des objets rappelant ses œuvres à cela s’ajoute un plaid aux nombreuses couleurs comme pour signifier les facettes de l’artiste.
La renommée d’Harriet n’est plus à faire mais elle expose encore en 1922. Elle sera nommée Chevalier de l’Ordre de Saint-Olav, en 1925. Elle a 80 ans en 1925 et elle expose une dernière fois à Oslo, Bergen et Stockholm. 1930, Harriet à 85 ans, un défilé aux flambeaux est organisé pour fêter l’évènement, à Oslo.
Le 25 mars 1932, à 87 ans, Harriet Backer meurt à Oslo.
Mon atelier (1918), Harriet Backer, Bergen