Fondé à la fin du XVIIIème siècle, le MSK de Gand est sans doute le plus ancien musée de Belgique, il est installé dans le parc de la citadelle. L’on y trouve 3 œuvres de Theodoor Rombouts. Cette année, le musée a organisé une exposition consacrée à ce fameux peintre jouissant d’une bonne réputation à son époque mais n’étant pas des plus courus à la nôtre.
Rombouts, une courte vie
Theodoor naquit le 2 juillet 1597 à Anvers, il est le fils de Batholomeus Rombouts et de Barbara de Greve.
En cette fin du XVIème siècle, la cité fait partie des Pays-Bas espagnols rattachés au Saint-Empire-Romain-Germanique. L’époque subit nombre de révoltes dans une Flandre qui se cherche encore.
Theodoor fût placé chez un premier maître qui ne put le pousser à devenir l’artiste qu’il devait être. Il fût envoyé chez un autre maître : Abraham Janssens. Dans ce nouvel atelier, Theodoor apprend le goût des couleurs et de la matière qui élèveront son art. Il réussira à dépasser son maître par son goût, par ses sujets et l’on peut supposer que son maître a pu être jaloux de cet élève comme il est présenté dans l’édition de 1759 de l’Iconographie d’Antoine van Dyck.
Theodoor Rombouts, gravure de Paulus Pointus d’après Antoine van Dyck
Theodoor a vingt-ans et il quitte la Flandre pour Rome. Sur place, il va étudier et copier de grands noms de la peinture dont les œuvres du Caravage décédé en 1610. La force, la lumière, les couleurs de son art le rendent assez rapidement populaire au sein de la cité éternelle. Il reçoit à Rome la commande de douze tableaux de la Genèse, la réussite est totale.
Son succès dépasse les murailles de Rome et il est reçu favorable par le Grand-duc de Toscane, Cosme II de Médicis, qui l’emploie à son service quelques années durant.
Fort d’une nouvelle réputation, il choisit de rentrer en Flandre où les commandes affluent très vite. Il sait qu’il devient un grand-maître mais la concurrence existe en la personne de Rubens, bien installé dans les Flandres. Son ancien maître Janssens était adversaire de Rubens aussi Rombouts choisit peut-être de rejoindre les rangs de ses adversaires mais ce « combat » ne fera que pousser Theodoor à prendre des risques à présenter des innovations dans son art et surtout ce donner les moyens d’être égal et supérieur à Rubens.
Parallèlement, il se marie le 16 septembre 1627 avec Anne van Thielen, fille d’un seigneur des environs de Mâlines. Il vit avec elle et leur fille dans une grande maison de pierre où réside son atelier. Il aura des assistants et formera plusieurs apprentis.
Autoportrait présent dans La compagnie musicale avec une bacchante, 1634
Dès son retour de Rome, il s’inscrit à la Guilde de Saint-Luc. Cette Guilde est en quelques sorte une corporation d’artistes rassemblant peintres, sculpteurs, graveurs, … porte le nom du saint patron des peintres. Pour y entrer, il faut être citoyen de la cité, être propriétaire dans la cité. Être maître dans une Guilde implique une certaine sécurité financière au vu de l’afflux de commandes dont la première qui est « offerte » par le doyen de la Guilde.
L’on sait que Theodoor Rombouts sera doyen de la Guilde entre 1628 et 1630, ce qui montre son importance.
En 1635, il travaille sous la direction de Rubens, une de ses grandes influences, sur un ensemble décoratif pour le Cardinal Ferdinand d’Autriche venant à Anvers.
Le 14 septembre 1637, alors âgé d’à peine 40 ans, Theodoor Rombouts meurt à Anvers.
Rombouts et les scènes religieuses
Dans les années 1620, Theodoor est à Rome. Dans la cité papale, le thème religieux est très développé, comme on peut le penser. Alors qu’il étudie les œuvres romaines, il est inspiré par les œuvres du Caravage. En effet, Le Caravage peint avec un réalisme prononcé, joue avec les lumières, les ombres, le clair-obscur et il entend aller plus loin que Le Caravage tout en reprenant ses méthodes et celles de Bartolomeo Manfredi, un caravagiste, qui va jouer un rôle important dans la formation de son style.
Theodoor exprime franchement son caravagisme en 1625 avec Le reniement de Pierre. L’apôtre est entouré de soldats jouant aux cartes, ce qui frappe le plus reste l’usage du clair-obscur donnant une ambiance réaliste, renforcée par les regards incrédules des autres personnages.
Le reniement de Pierre, Theodoor Rombouts, 1625
Une autre facette du caravagisme est présente dans l’œuvre de Rombouts : la mise en scène. Observons une autre œuvre de l’artiste : Le Christ chassant les marchands du Temple. La mise en scène y est riche avec un arrière-plan à colonnes qui donne un effet d’ombres. Cet arrière-plan est renforcé par le nombre important de personnages dans des poses plus dramatiques les unes que les autres et le jeu des regards et leur direction est très réaliste. Theodoor ajoute une palette importante de couleur comme le violet que porte le Christ et introduit une lumière dont on ne peut voir la provenance.
Le Christ chassant les marchands du Temple, Theodoor Rombouts, 1625
Theodoor va s’emparer d’un sujet purement caravagiste : le martyr de Saint Sébastien. Cette scène permet de représenter un corps masculin très travaillé dans les détails tel que l’offre à voir les cheveux et la moustache du saint. Mais plus encore, le clair-obscur de cette œuvre donne un éclat prodigieux au saint dont le pagne de soie bleu offre de la vivacité. On observe également une lumière vive, comme surnaturelle, venant de Dieu que Sébastien appelle en levant les yeux.
Saint-Sébastien, Theodoor Rombouts, 1622-1624
Les scènes religieuses sont assez courantes à l’époque, le clergé étant bon commanditaire et bon payeur. Ainsi, Rubens livre une descente de croix pour la cathédrale d’Anvers. En 1629, Rombouts revient dans le jeu en livrant à son tour une descente de croix à l’Évêque de Gand.
La descente de croix, Theodoor Rombouts, 1629
Rombouts et le jeu
Dans les années 1600, Le Caravage rend populaire des scènes de vie telle celle du jeu de carte et c’est avec cette thématique que Theodoor va peindre les plus vivantes et les plus réalistes de ces œuvres. L’on retrouve cette thématique dans Les joueurs de cartes, un jeu de lumière, cinq personnages d’âge et de styles différents, un lieu dépouillé dans le clair-obscur et surtout une scène réaliste avec le vieil homme de gauche qui regarde les cartes de son compagnon de jeu ou encore la dame âgée qui évoque un sujet avec le jeune homme.
Les joueurs de cartes, Theodoor Rombouts, 1627
Comme à son habitude, Rombouts va plus loin que son maître, Le Caravage, en montrant une partie de tric-trac. La scène est animée chacun regardant d’un côté ou d’un autre, peu de concentration pour le jeu hormis pour l’homme qui nous tourne en partie le dos et qui se place au-devant de la scène mettant en œuvre un troisième plan. La richesse des détails est ici flagrante, tant par les riches couleurs que par les textures représentées. Il est à remarquer à gauche la femme et la fille de l’artiste, et de fait nulle trace de bouteille, de bagarre ou de bêtise. Ce mélange caravagiste est un chef d’œuvre.
Les Joueurs de tric-trac, Theodor Rombouts, 1634
N’oublions pas qu’à l’époque les grands tableaux sont à la mode pour habiller les élégantes demeures. Sans doute peut-on retrouver une dose de morale chrétienne derrière ses diverses représentations assez exagérées avec la large palette des couleurs où par l’idée d’un divertissement qui n’est pas gratuit.
Les Joueurs de cartes, Theodoor Rombouts, après 1632
Rombouts et les sens
La représentation picturale doit intégrer les cinq sens pour renvoyer une image réaliste du comportement humaine que Theodoor se fait pour idée de représenter. La tradition veut leur représentation par des femmes mais non … il décide de représenter des hommes pour préfigurer des cinq sens. De gauche à droite, l’on peut observer : la vue, le vieil homme use de ses binocles ; l’ouïe représentée par le musicien ; le toucher représenté par un aveugle qui pose sa main sur une sculpture antique ; le goût incarné par un jeune homme au torse nu tenant dans une main un verre et dans l’autre une carafe et enfin l’odorat.
Le fond est clair et montre le ciel ne reprenant pas le caravagisme mais l’œuvre reste caravagiste avec l’emprunt d’hommes du peuple pour la représentation des cinq sens.
Allégorie des cinq sens, Theodoor Rombouts, 1632
L’Évêque de Gand, Antoon Triest, se portera acquéreur de cette toile pour 600 florins.
Il convient d’ajouter la représentation de la tempérance aux cinq sens. Theodoor peint un homme du peuple dans des habits de scène : il lui fait mettre de l’eau dans le vin, la modération une qualité que doit posséder l’Homme.
L’échanson, Theodoor Rombouts, 1629
Rombouts et la musique
Autre thème apprécié du Caravage, les scènes de musiciens. Theodoor met une nouvelle fois son talent à la disposition d’une représentation de l’époque, la musique y étant fondamentale et les détails foisonnants montrent à nouveau le talent de l’artiste.
La compagnie musicale, Theodoor Rombouts, 1630
Le joueur de luth est un sujet assez populaire à l’époque. Caravage et Manfredi ont fait leur version alors Rombouts fera la sienne. Theodoor a peint une assez large série de ce sujet mais sur celle présentée ci-dessous l’on retrouve la finesse que l’on a pu trouver dans les œuvres liées aux joueurs, il prend un peu de liberté en termes de costume et ajoute une atmosphère mystérieuse presque pesante avec un arrière-plan d’une couleur assez peu avenante et avec les traits du visage assez négatifs du musicien.
Le joueur de luth, Theodoor Rombouts, 1625
Rombouts et les scènes de vie
La vie réelle tend à être joyeuse et c’est ainsi que l’artiste peint des scènes de joies, de rire, de fêtes loin du drame représenté par Caravage. Sur la scène ci-dessus, on ripaille entre gens de différentes couches de la société, la nourriture et les boissons sont présentes tout comme les musiciens au fond à gauche.
Joyeuse compagnie, Theodoor, Rombouts, 1636
La vie s’est aussi le soin du corps et notamment des dents … on dénombre huit versions de L’arracheur de dents œuvre à la fois si populaire et si complexe. Bien entendu, Le Caravage n’est pas loin, l’exposition présentait l’œuvre du Caravage servant de base à Rombouts.
Rappelons que les maux de dents son très répandu au XVIIème siècle, et que l’anesthésie n’existait pas, alors la grimace, la douleur ne peut pas être étrangère à cette scène de vie. Le plus surprenant reste que des amateurs de ce genre de scènes pouvaient exister, mais il est facile de juger sans se replacer dans le contexte de la société de l’époque.
L’on retrouve dans l’œuvre un vieillard à binocle, un soldat, un jeune, une femme très âgée, pourquoi pas évoquer une réunion de famille autour de la « victime » du chirurgien dont les traits font penser à Theodoor Rombouts.
L’Arracheur de dents, Theodoor Rombouts, 1637
Au travers de ces quelques œuvres, l’on découvre un artiste très inspiré par l’œuvre du Caravage mais un artiste qui sait également mettre sa patte, aller plus loin dans le réalisme, dans les couleurs dans les formes. L’artiste m’étais inconnu avant d’avoir accès à cette exposition et je ne regrette pas d’avoir pu découvrir un artiste de cette envergure, celle d’une promesse de retranscrire le réel.
Prométhée, Theodoor Rombouts, 1628