« Je me prends parfois comme tout le monde à sourire de mon obstination à achever une œuvre commencée depuis 40 ans. Parfois aussi je pense, et avec une force de conviction intime inaliénable, que ce que je fais là a sa valeur. » - Louis Janmot, 11 mai 1879
Louis Janmot : histoire d’un artiste
Le 21 mai 1814, Louis Janmot naquit à Lyon, dans une famille tournée vers la foi catholique. Âgé de 17 ans, il entre à l’École des beaux-arts de Lyon. Il y sera remarqué et obtiendra une distinction, le laurier d’or, grâce à son autoportrait.
Autoportrait (1832), Louis Janmot
Fier de sa distinction, il quitte Lyon pour Paris en 1833 pour profiter de l’enseignement de Victor Orsel et de Jean-Auguste-Dominique Ingres. Il conservera le goût de la beauté ainsi que celui de la pureté de la peinture d’Ingres et s’inspirera des chefs d’œuvres de la peinture italienne de la Renaissance, notamment l’œuvre de Sandro Botticelli.
Il visite Rome en 1835. En cette année, il débute Le Poème de l’Âme. Il repart pour Lyon et va peindre des œuvres de thèmes religieux. Il expose certaines de ses œuvres au Salon. Le dominicain Henri Lacordaire fonde la confrérie de Saint-Jean-l’Évangéliste dont le but est de propager la foi catholique par le biais de l’art. Louis Janmot l’ayant rencontré va le portraiturer, il sera sans doute en accord avec les idées et ambition du frère.
Le Père Lacordaire (1846), Louis Janmot
En mai 1855, lors de l’exposition universelle, il s’ouvre au monde de son Poème de l’Âme qui reçoit un accueil très négatif, l’artiste en sera perturbé …
Ayant la volonté de devenir directeur de l’École des beaux-arts de Lyon, il n’en sera que professeur, il démissionnera … Alors habitant de Bagneux, Louis Janmot, désormais veuf, doit s’enfuir à Alger devant l’arrivée des Prussiens, pendant la guerre de 1870. À son retour à Paris, il découvre son appartement saccagé et apprend que certains de ses amis ont succombés.
La seconde partie du Poème de l’Âme est achevée en 1861. Dans la foulée, il publie deux volumes regroupant des photographies de ses œuvres et de ses poèmes.
Artiste à cheval entre le romantisme et le symbolisme, il publiera un recueil comprenant tous ses articles en 1887 : Opinion d’un artiste sur l’art.
Il décède le 1er juin 1892, sans avoir réussi à convaincre de son œuvre ses contemporains …
Sursum Corda (1879), Louis Janmot
Le Poème de l’Âme
En 1921, la Société de Saint-Jean organise une exposition mettant en avant les élèves d’Ingres. Cinq tableaux de Louis Janmot y trouveront place, Maurice Denis en écrira : « Les cinq tableaux de la série de 34 compositions, intitulée le Poème de l’Âme, de Janmot, sont des merveilles d’invention et de poésie. ». Plus qu’une œuvre, l’artiste crée une argumentation pour évangéliser ceux qui se sont éloignés du catholicisme. Les deux séries présenteront deux aspects : la première « la vie de l’âme sur terre » et la seconde « la vie active de l’âme au-delà des temps ».
Dans cette chronique, j’ai décidé de me pencher sur le premier cycle, le plus abouti de l’artiste, en commentant succinctement l’œuvre et en vous présentant quelques-uns des vers accompagnants chacune de ses 18 peintures.
La première série, le premier cycle, fût présenté pour l’Exposition Universelle de 1855. Eugène Delacroix notera le talent singulier de Janmot et Charles Baudelaire sera troublé par cette œuvre qu’il jugera confuse.
La série s’ouvre avec Génération divine qui montre l’arrivée au monde de l’âme. Cette âme est représentée par un enfant entouré de l’amour de la Trinité, renforcé par des anges en nombres.
« A l’instant qu’a choisi la sagesse infinie,
Le néant vaincu cède et fait place à la vie :
De l’abîme entr’ouvert, sombre et silencieux,
Une âme humaine monte à la clarté des cieux ; … »
Génération Divine (1844-1845), Louis Janmot
La seconde œuvre évoque Le Passage des âmes. L’idée est de mettre en avant l’opposition entre le bien et mal ainsi que la vie et la mort. Ainsi, sur la gauche de l’œuvre on aperçoit nombre de séraphins (anges qui gravitent autour du trône de Dieu, ayant pour mission d’adorer et de louer dieu) et, à droite, plus sombre sont des morts attendant leur jugement ainsi que Prométhée, tourmenté.
« De l’Ange gardien la mission commence.
Dieu lui donne, il emporte en ses bras endormi
Celui dont il sera le conseil et l’ami ;
Dans l’espace il s’élance. »
Le Passage des âmes (1838-1845), Louis Janmot
Après son arrivée sur terre, l’âme se met en quête d’une vie idéale représentée par L’Ange et la mère. Dans un cadre d’une beauté certaine, la mère tient l’âme fait enfant, une mère qui préfigure la Vierge Marie. Cette âme qui fût apportée par l’Ange Gabriel, en prière vers le Ciel.
« Que la paix du Seigneur repose
Sur cette mère et son trésor,
Et que sur leur paupière close
Elle verse des songes d’or !
Enfant, dormez, pour vous je prie,
Et dois veiller avec amour,
Afin qu’au terme de la vie
Vous bénissiez ce premier jour. »
L’Ange et la mère (1836-1847), Louis Janmot
Le Printemps est une allégorie de l’enfance. Dans un jardin qui ressemble à l’Eden, le garçon agenouillé rencontre son Ève qui semble lui montrer la voie à suivre, l’entrainant comme Adam vers son destin, son tragique péché originel.
« Fils d’Adam, la terre est parée,
Éveillez-vous à votre tour,
L’Eden est de peu de durée,
Vous aussi le saurez un jour ! »
Le Printemps (1850), Louis Janmot
La nostalgie du Ciel que peut ressentir l’âme est évoquée dans Souvenir du Ciel. Dans ce rêve, le temps est comme arrêté les pieds des enfants ne touchent plus terre, ils sont entre le Ciel et le royaume des mortels.
« Lorsqu’arrive le soir, l’enfant lassé repose
Près du lit maternel sa tête blonde et rose ;
Et les songes, amis du paisible berceau,
D’un monde merveilleux écartent le rideau. »
Souvenir du Ciel (1835-1847), Louis Janmot
L’on retrouve les enfants rentrés à l’abri d’un orage dans le cercle familial, l’œuvre Le Toit paternel, préfigure peut-être la difficulté du monde par opposition à la chaleur du foyer familial. L’artiste fait ici revivre ses souvenirs d’enfance, ils lui appartiennent et à cet effet il fait son autoportrait en prenant l’apparence paternelle.
« Ami, rapprochons-nous de la lampe qui brille.
Autour d’elle déjà s’assemble la famille ;
Et Grand’mère, qui lit la Bible chaque soir,
Nous fait, pour écouter, signe de nous asseoir. »
Le Toit paternel (1848-1849), Louis Janmot
Le Mauvais Sentier tire son thème de la polémique sur l’École à l’époque de l’artiste. En effet, l’enseignement laïc prend le pas sur l’enseignement catholique. L’enseignement laïc est présupposé comme étant néfaste, symbolisé par ses professeurs en toge sombre.
« Pitié pour la peine cruelle
De deux pauvres enfants qui, depuis ce matin,
Loin de la maison paternelle,
Ne peuvent, dans la nuit, retrouver leur chemin ! »
Le Mauvais Sentier (1850), Louis Janmot
L’on aperçoit l’envers du décor, avec les têtes des professeurs qui se montrent dans les ouvertures. Cauchemar, l’œuvre est bien nommée, les enfants sont tombés dans le piège d’une vieille marâtre.
« Ainsi, l’âme languit, des glaces de la tombe
Paralysée, avant les jours d’hiver ;
Ainsi, sans être mûr, se flétrit, meurt et tombe
Le fruit souvent dévoré par un ver. »
Cauchemar (1840-1850), Louis Janmot
Le calme revient avec l’abbé Noirot qui donne la bonne instruction aux enfants, s’évertuant à ouvrir l’âme des enfants au bien que l’on découvre par le blé et Dieu fait nature.
« Marchons à notre rang, sans orgueil, sans envie ;
Nul n’est grand ni petit.
Qui connaît, pour juger la valeur d’une vie,
Le point d’où l’on partit ? »
Le Grain de blé (1851), Louis Janmot
La cathédrale de Lyon accueille la dixième œuvre du cycle : La Première Communion. Les tuniques blanches et la grâce des mouvements et des visages met en avant ce moment important de la vie d’un chrétien.
« Que ce jour si rempli de grâces et de prière,
Resté comme un parfum au fond du cœur,
Vous ramène vers moi, moi qui sis le bon père
Et le divin consolateur. »
La Première Communion (1850), Louis Janmot
L’on retrouve deux communiants dans des corps d’adultes. La douceur est incarnée par le mouvement de caresse du garçon tandis que la jeune adulte touche une panthère domptée. Le lys au centre incarne la pureté du couple.
« Ainsi pour lui commence à poindre
L’heure, cachée au cœur mauvais,
Où l’âme et la nature en paix
Peuvent s’aimer sans devoir craindre. »
Virginitas (1849-1852), Louis Janmot
Le jeune couple endormi reçoit la vision d’un cortège d’anges. Les anges portent des symboles de la beauté et de l’art, ils symbolisent le chemin menant vers Dieu.
« Lumière par son âme, ombre par la matière,
Vers la terre ou le ciel incliné tour à tour,
L’homme marche à sa fin immortelle et dernière
Dans l’espace et le temps attardé pour un jour. »
L’échelle d’or (1850-1851), Louis Janmot
Cinq jeunes adultes se tiennent la main pour effectuer une ronde, elle symbolise le passage du temps et son éternel cours. L’âme, l’amour, les amoureux, les tentations et l’enfance sont ainsi représente dans un immuable temps.
« Venez à la ronde joyeuse ;
Aimé de notre blanche sœur,
Le ciel est pur, la vie heureuse ;
Dansons gaiement, chantons en cœur. »
Rayons de soleil (1854), Louis Janmot
Après l’expérience du temps, les deux adultes font l’expérience de l’espace au travers de cette aventure dans la montagne, une ascension spirituelle, tout autant qu’une initiation où le chemin de l’amour.
« Atteignons le sommet de la montagne ardue,
Où nos regards pourront sur l’immense étendue
Planer en liberté. »
Sur la montagne (1851), Louis Janmot
Ayant atteint le sommet du chemin, le couple profite des derniers rayons du soleil dans une posture de repos mérité. Il est ici évoqué le passage de l’enfance à l’âge adulte dans la chasteté des jeunes adultes.
« Enfants, qu’attendez-vous ? c’est l’heure accoutumée
Où, comme des oiseaux retirés dans leurs nids,
Chaque soir sous le toit de la famille aimée
Vous êtes réunis. »
Un soir (1851-1851), Louis Janmot
Alors que la fille soutient le garçon, l’âme s’envole en quittant le monde réel vers les cieux pour vivre pleinement leur amour.
« Sans le savoir, pauvre âme humaine,
Marchez donc jusqu’à ce qu’enfin
La réalité vous rencontre,
Et d’un air dédaigneux vous montre
La tombe en travers du chemin. »
Le Vol de l’âme (1852), Louis Janmot
Saisi d’effroi et guidé par la jeune fille qui écarte les nuages, le garçon monte vers le ciel pour s’élever toujours plus haut.
« L’idéal qui, partout où croisent les épines
Des terrestres douleurs,
Sait jeter des vertus la semence divine
Qui mûrit dans les pleurs. »
L’idéal (1850-1853), Louis Janmot
L’adolescent devenu homme se retrouve seul. Tenant sa croix de Communion, il se confronte à la solitude de la mort de la jeune fille, son amour perdu. Il prie pour entrevoir un espoir.
« Que l’idéal enfin, à sa source cherchée,
Emporte votre amour, de la terre arrachée,
Vers cette immortelle patrie,
Où chaque élan du cœur, par la douleur heurée,
Doit remonter plus pur à l’unique beauté
Qui ne peut pas être flétrie ! »
Réalité (1851), Louis Janmot
Au gré de ce cheminement, l’artiste fait montre de sa pensée religieuse et politique. Le Poème de l’Âme est conçu comme un message allant contre les évolutions de la société d’alors, telles que le divorces, l’évolution des valeurs familiales, l’université laïque ou encore le recul de l’importance de l’éducation religieuse.