Au XVème siècle, la peinture européenne se divise en deux pôles principaux : l’Italie et la Flandre. L’art italien de cette époque sera humaniste et formaliste. Il n’en est rien pour l’art flamand qui se veut tourner vers un naturalisme assumé, loin de tout embellissement, en faisant usage de nouvelles techniques.
Vers l’art flamand
L’art est fait de mouvement qui se choquent et s’entrechoquent pour cohabiter ou se détruire. Le XIIIème signe l’apparition de l’art roman. Cet art rompt avec l’art antique en limitant les perspectives et en perdant l’aspect tridimensionnel des corps ou des choses. L’art roman s’intéresse à une représentation claire avec des lignes marquées et sans place pour le mouvement ou les sentiments.
Portail roman, cathédrale Saint-Étienne, Bourges
Le style gothique va finir par émerger. Il émerge avec la sculpture qui se veut cesser d’être bidimensionnelle pour recouvrer une mobilité, des sens, une existence, de la vie, … Le temps médiéval se voit parer du gothique, que l’on peut évoquer comme une naissance d’une légère complexification et d’un attrait architectural vers l’ouverture à la lumière et aux formes géométriques, telles les ogives, pour se rapprocher de Dieu.
Voûtes sur croisée d'ogives, cathédrale Saint-Gatien, Tours
A la fin du XIVème siècle émerge, le style gothique international. Ce mouvement est une phase tardive de l’art gothique qui a court entre 1380 et 1450. La nouveauté de ce style est l’émergence de caractéristiques communes. L’on y met l’accent sur le raffinement des personnes, de leurs tenues et l’on s’oriente vers plus de réalisme. Par ailleurs, les thèmes religieux dominent avec notamment l’Annonciation, le Couronnement de la Vierge ou encore la Crucifixion.
Malgré tout, si ce mouvement tend à se reprocher du réel, il en est encore loin, il représente surtout une vision idéale. Un des plus fameuses œuvre de cette époque est le Portrait de la Princesse d’Este de Pisanello, l’un des derniers représentants du gothique international.
Portrait de la Princesse d’Este (1435-1440), Pisanello, Musée du Louvre, Paris
L’émergence de l’« ars nova »
Le contexte est assez complexe : la Guerre de Cent ans fait rage … Les Français perdent contre les Anglais, en 1415 : le désastre d’Azincourt. Un homme d’envergure conseille les Rois de France : Jean de Berry, il décède en 1416. Enfin, la Cour du Duc de Bourgogne est transférée en Flandres.
Auparavant, l’art est localisé en deux centres important : Bourges et Dijon. Arrivés en Flandre, les artistes rejoignent des guildes bien cadrées et bien représentées. Dès lors, les écoles vont se fonder étant donné la prédominance des noms de villes sur ceux des artistes : Écoles de Tournai, de Bruges, Gand, d’Anvers, de Haarlem ou encore de Bruxelles.
Portrait de Philippe le Bon (fin XVème siècle), copie d’après Rogier van der Weyden
En l’an de grâce 1320, il apparait la notion d’ars nova. Ars Nova provient du théoricien Johannes Tinctoris qui qualifie de ce terme non pas des peintures mais de la musique, une musique « moderne », compliquée, raffinée.
La peinture va emprunter ce terme dès lors qu’elle va mettre en avant les sentiments, le réel, la vérité dans un naturalisme assuré. N’oublions pas que cet art primitif marque le début de la renaissance flamande.
L'évolution vers les primitifs flamands sera rendue possible par une innovation : une nouvelle technique à l'huile. Utilisée depuis le début du XIIème siècle, l'huile devient un liant. On sait que l'huile peut être appliquée pour une question esthétique mais elle est plus souvent appliquée pour une raison de bonne conservation sur une durée importante, et elle sera utilisée pour les murs, les colonnes, les statues, les portes ou encore les écus. Les artistes finiront par comprendre l'intérêt de l'usage de l'huile et cet usage va permettre une évolution des procédés ainsi qu’une révolution du travail de la lumière.
Vierge à l’Enfant dans une pièce intérieure (1450), disciple de Jan van Eyck, Musée Groeninge, Bruges
Autrefois l'on a considéré Jan van Eyck comme l'inventeur de la technique nouvelle à l'huile, l’on sait depuis qu'il fait partie de ces artistes qui ont permis l'émergence de cette technique, mais qu'il n'en est pas l'unique inventeur. Ainsi donc, cette technique permet d'améliorer la précision avec laquelle la lumière peut être graduée sur une couleur et évite au peintre de renforcer l'intensité lumineuse grâce au blanc de plomb.
À la faveur de cette intensité lumineuse, l'éclat du tableau tout comme son unité se trouve accentué et permettent à l'artiste de s'approcher fidèlement du réel.
Pietà, Rogier van der Weyden, Musée Old Master, Bruxelles
Les primitifs flamands tiennent leurs noms du lieu où est installé leur atelier. Tout comme on pensait que Jan Van Eyck était l'inventeur de la nouvelle méthode à l'huile, on a longtemps cru que Bruges fut le centre de l'évolution native des primitifs flamands. Or, il apparaît comme évident, à notre époque, que seule l'école de Bruges n'aurait guère suffit à faire émerger les primitifs.
Quoi qu'il en soit, nombre d'artistes ont permis de passer du gothique international à ce temps des primitifs flamands qui permettra d’emboîter le pas vers la renaissance. Parmi les primitifs flamands, l'on en trouve trois dont l'importance les rangs supérieurs aux autres : le Maître de Flémalle qui ne serait autre que Robert Campin ; Jan Van Eyck et Rogier van der Weyden.
Maître de Flémalle, Robert Campin
Maître de Flémalle est une désignation assez neutre impliquant l’œuvre d’un artiste dont on ne connaissait pas l’identité mais dont on supposait que les œuvres provenaient de Flémalle (ou Flemael), petite ville près de Liège. Après de longs errements, le Maître de Flémalle est appréhendé comme étant un certain Robert Campin.
Robert Campin naquit vers l’an de grâce 1375 à Valenciennes. L’apprentissage de son art eut lieu au sein de l’influence bourguignonne, à Dijon. Il est mentionné en 1406 à Tournai en tant que « maître peintre ».
Campin doit être qualifié de précurseur des primitifs flamands pour une raison de chronologie et d’influence. En effet, il dirige l’atelier de Tournai entre 1418 et 1432. Dans cette période, en 1427, deux jeunes hommes commencent leur apprentissage chez Robert Campin : Rogier van der Weyden, le 5 avril, et Jacques Daret, le 12 avril. Par ailleurs, l’on retrouve dans les premières œuvres de Rogier van der Weyden la composition de l’atelier de Tournai. Enfin, l’on trouve chez Jan van Eyck le style de Robert Campin.
Le Maître de Flémalle est un haut de son temps qui applique un certain nombre de tendance de l’époque dont la pratique des panneaux et des retables.
Son œuvre, et notamment le triptyque Sellern, est marquée par une palette détonante et les couleurs nacrées et douces qui contrastent avec les couleurs brutes de la période gothique. Il est apporteur de lumière et de ton argentés.
Les symboles dans une coquille voulue naturaliste mais hébergé dans un univers bourgeois sont présent dans ses œuvres.
Le Retable de Mérode permet d’appréhender l’artiste. Le panneau central de l’œuvre, l’Annonciation, nous permet de retrouver cet intérieur bourgeois, travaillé, recherché, fort de matières chaudes comme le bois, de richesse avec cette grande cheminée et la fenêtre vitrée. L’on découvre également une place laissé à un peu de simplicité avec cette fleur reposant dans son vase ou cet essuie-main qui semble mal étendu … Les ailes de l’ange appellent une palette de couleur argentée et l’on repère la Vierge agenouillée plongée dans sa lecture avec ce visage ovale caractéristique de l’artiste.
Annonciation, Retable de Mérode, Maître de Flémalle, Musée Old Master, Bruxelles
En 1427, Jan van Eyck, de visite à Tournai, contemplera ce Retable de Mérode et s’en inspirera pour créer son fameux Retable de Gand.
Dans les années 1430, Campin s’intéresse à la Crucifixion. Il aurait peint un formidable triptyque avec une Descente de Croix dont seul subsistent quelques éléments. Mais d’autres crucifixion nous sont parvenues et nous permettent d’admirer le style propre à l’artiste et à son jeu de couleur assez contrastée mais faisant apparaître douceur et vivacité.
Le Christ en croix entouré de trois anges, Maître de Flémalle, Musée Old Master, Bruxelles
Campin s’attache également à représenter l’Homme dans son environnement et dans sa douleur. Le Christ ressuscité montre ses plaies à des anges qui versent des larmes sur un fond doré rappelant l’aspect divin du Christ.
L’Homme de douleurs (1430), Maître de Flémalle, MSK, Gand
Robert Campin meurt le 26 avril 1444 à Tournai. Son œuvre aura marqué son époque et lancer l’art flamand. Ses œuvres seront copiées longtemps après son décès comme la Vierge à l’Enfant ci-dessous, datée des années 1480, soit près de quarante ans après la mort du maître peintre de Tournai.
Vierge à l’Enfant (1480), d’après Robert Campin, Musée Groeninge, Bruges
Jan van Eyck
Jan van Eyck serait supposément né dans les années 1390 à Maaseik. Si ses parents nous sont inconnus, nous savons qu’il avait deux frères : Hubert et Lambert, qui furent peintres tous les deux.
On ne sait qu’elles furent ses études mais l’influence du Maître de Flémalle se fait jour dans certaines de ses œuvres. Il sera peintre de la cour de Jean III de Bavière, le Prince-Évêque de Liège.
A la mort de Jean III, le 6 janvier 1425, il quitte La Haye pour Bruges. Il entre au service du Duc de Bourgogne, Philippe le Bon, le 19 mai 1425. Le Duc le charge de missions exceptionnelles tel un pèlerinage en Terre Sainte pour faire du repérage, un voyage à la cour d’Aragon ou encore au Portugal.
Le 18 octobre 1427, il est à Tournai où il est fort probable qu’il rencontre Robert Campin et son élève, Rogier van der Weyden.
Il poursuit l’œuvre de son frère Hubert, un chef d’œuvre de l’art flamand, qui est achevée en 1432 : le Retable de Gand.
Retable de Gand, Hubert et Jan van Eyck, Cathédrale de Gand, Gand
Établi à Bruges, il est certainement maître d’un atelier. Il effectue des commandes privées, essentiellement des portraits.
Vers 1433, il épouse Marguerite dont un célèbre portrait nous est parvenu.
Portrait de Margareta van Eyck (1439), Jan van Eyck, Musée Groeninge, Bruges
Il réalise la plus grande de ses œuvres, hormis le retable de Gand, entre 1434 et 1436 : Madone au chanoine Joris van der Paele. Cette œuvre est surprenante, elle fait converser ensemble Saint Donatien et Saint Georges autour de la Vierge à l’enfant en majesté sur un trône. La Vierge est entourée de roses symbolisant l’amour, le lys symbole de pureté et le narcisse symbolisant le renouveau. Saint donatien, patron de la ville de Bruges est mis à l’honneur dans un habit riche et dans un expression très humaine. Saint Georges est plus travaillé avec une armure richement décoré impliquant des reflets de la scène. Le chanoine est représenté à genou tenant un parchemin et une paire de lunette symbolisant la sagesse, l’éducation et le grand âge. Le talent de l’artiste est visible dans cette scène très réaliste et soignée de symboles et de couleurs.
Madone au chanoine Joris van der Paele (1436), Jan van Eyck, Musée Groeninge, Bruges
Jan van Eyck meurt le 23 juin 1441 à Bruges. Il laisse une œuvre exceptionnelle et s’affiche comme l’un des plus importants peintres de l’art flamand.
Rogier van der Weyden
Rogier de Le Pasture naquit à Tournai en 1399 ou 1400. Il est le fils d’un maître coutelier de la ville. En 1426, il se marie avec Élisabeth Goffaerts, fille d’un maître chausseur de Bruxelles et peut-être apparentée avec la femme di Maître de Flémalle.
Le 5 avril 1427, il entre dans l’atelier de Robert Campin, le Maître de Flémalle, comme apprenti. Il en ressort le 1er août 1432, devenu « Maître Rogier ».
Très vite, Rogier devient un artiste couru qui réussit. Ainsi, en avril 1434, le bourgmestre de Bruxelles lui rend visite et essaye de le débaucher de Tournai.
Ainsi, en 1435, Rogier de Le Pasture s’installe à Bruxelles, la ville natale de son épouse. Il est nommé peintre officiel de Bruxelles. À cette époque, il rend son nom plus flamand. La fonction ne lui apporte guère d’argent mais lui permet d’obtenir un statut de bourgeois de la ville.
A l’instar de son concurrent, Jan van Eyck, il s’attaque aux scène religieuse mai celles de Rogier marque plus par l’aspect spirituel que matériel. Une de ses plus belles œuvre est réalisée entre 1435 et 1440 : Saint-Luc dessinant la Vierge.
Saint-Luc dessinant la Vierge, d’après Rogier van der Weyden, Musée Groeninge, Bruges
La copie de l’œuvre présentée ci-dessus permet d’appréhender le parallèle avec La vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck et ce faisant la filiation avec le Maître de Flémalle.
La Vierge est représentée non pas sur l’assise du trône mais sur ses marche pour faire montre de son humilité. La Vierge est humanisée et il figue en arrière-plan un hortus conclusus, un jardin clos associé fréquemment à la chasteté de la vierge. Admirez le visage de Saint-Luc, ne serait-ce pas un autoportrait laissé par l’artiste pour prouver de sa dévotion ?
Autre détail important : le dessin. Rogier met un tableau dans un autre., il associe la peinture et l’écriture dans la main délicate de l’artiste tenant une pointe d’argent pour esquisser la Vierge.
Détail de la main, Saint-Luc dessinant la Vierge, d’après Rogier van der Weyden, Musée Groeninge, Bruges
Les écrits présentent l’artiste comme un homme altruiste et intègre qui aurait fait œuvre de charité à nombre d’établissements religieux et aidé nombre d’artistes débutants. L’on sait également qu’il fut traité avec respect et honneur par les membres de l’aristocratie et les personnages importants de l’époque. En témoigne les commandes assez nombreuses provenant de la cour du Bourgogne, alors que Jan van Eyck en est le peintre officiel.
Antoine de Bourgogne, Rogier van der Weyden, Musée Old Master, Bruxelles
L’artiste va niveler les priorités : l’âme de l’Homme, l’apparence de l’Homme puis les animaux et enfin tout ce qui est inanimé.
Rogier est un aventurier de la peinture, il essaye diverses techniques. Notamment en ce qui concerne les visages, on y trouve un certaine rigidité pouvant tirer sur une certaines froideur, évoquant une reprise du gothique. Malgré tout, les représentations de la Vierge se voient attribués un regard presque materne et un sourire attristé comme révélateur des futurs tourments de son fils.
Vierge à l’Enfant, d’après Rogier van der Weyden, MSK, Gand
Le style de Jan van Eyck semble plus dynamique, plus chaud que celui de Rogier et pour cause Rogier joue sur les contrastes. En effet, il peint des corps rigide tout comme les visages et pour intensifier la scène il va travailler le flottement des vêtements et les plis.
La Sainte Trinité, d’après Rogier van der Weyden, Musée Old Master, Bruxelles
Rogier van der Weyden décède le 18 juin 1464, à Bruxelles.
Baptême du Christ, triptyque de Jan des Trompes (1502-1508), Gérard David, Musée Groeninge, Bruges