Jan van Eyck est un des plus grand représentant de l’art flamand, il fait figure de proue parmi les primitifs flamands. Si l’artiste n’a laissé que peu d’œuvres, chacune d’entre-elles sont des chefs-d’œuvre.
Dans les années 1430, l’artiste répond à une commande de Nicolas Rolin, le chancelier du duc de Bourgogne, Philippe le Bon. L’œuvre était présente dans une église d’Autun dans la chapelle où furent enterré des membres de la famille du chancelier. L’œuvre quitte l’église en 1800 pour rejoindre les collections du Louvre.
La Vierge du chancelier Rolin (vers 1430), Jan van Eyck, Musée du Louvre, Paris
La composition est peinte à l’huile sur chêne, elle forme quasiment un carré de 66 cm par 62.
Le XVème siècle voit apparaître de nouveaux usages, un nouveau mouvement et presque un nouvel art. De « pôle » s’opposent : l’Italie et la Flandre. Le Musée du Louvre rassemble deux chefs d’œuvres pouvant représenter cette période. L’Italie est représentée par La Joconde de Léonard de Vinci. L’ars nova de Flandre est quant à lui représenté par La Vierge du chancelier Rolin, dont la force et la maîtrise n’a rien à envier à La Joconde.
Après une restauration bien méritée, l’œuvre de Jan van Eyck est présentée au milieu de six autres de ses œuvres et avec des œuvres qui lui sont contemporaines. Ces œuvres permettent d’étudier et de comprendre en quoi La Vierge du chancelier Rolin est un chef d’œuvre qui peut être vu comme une synthèse de l’art primitif Flamand.
Rencontre avec la Vierge
À partir du XIème siècle, le culte de la Vierge Marie se développe. Marie est sans doute considérée comme un pont entre le Ciel et la Terre de par son rôle de mère du Christ. Parallèlement à cela, le moyen-âge est une période troublée que ce soit par les guerres, les famines, les épidémies, les abus de pouvoir, … dans ce contexte, tout un chacun va chercher protection auprès de Marie. Il est donc assez normal de la représenter. L’on voit également Marie comme celle qui met fin au péché originel en portant l’Enfant de Dieu.
Les Heures de Marguerite de Clèves nous permettent de poser les yeux sur une représentation datée du début du XVème siècle. Marguerite est agenouillée à une bonne distance de la Vierge qui lui accorde un regard tendre.
Marguerite de Clèves en prière devant la Vierge et l’Enfant (vers 1400), Lisbonne
Une frontière est bâtie entre le monde des saints et celui des humains, l’humain n’étant pas au même niveau de spiritualité ou de pureté que le divin. Les dévots peuvent accéder au divin par l’intermédiaire de saints ou d’évêques comme en fait montre Maître de Walters dans l’œuvre ci-dessous.
Vierge à l’Enfant (XVème siècle), Maître de Walters, Musée du Louvre
La Vierge de Lucques de Jan van Eyck suit les conventions de l’époque : la Vierge semble surplomber la scène indiquant que le spectateur de l’œuvre doit être agenouillé et peut contempler cette scène si intime de l’allaitement.
La Vierge et l’Enfant dite Vierge de Lucques (vers 1437), Jan van Eyck, Musée du Louvre
Ayant contempler la Vierge de Lucques, la vision de La Vierge du chancelier Rolin semble surprenante et ne correspondant pas aux règles de l’époque. En effet, le chancelier Rolin est une personne d’importance, ce qui peut expliquer qu’il soit à la même échelle et à la même hauteur que la Vierge. Le visiteur ne semble pas inviter à cette scène, la représentation semble être juste là pour indiquer l’immense pitié du chancelier Rolin.
Détail de La Vierge du chancelier Rolin (vers 1430), Jan van Eyck, Musée du Louvre
Portraits
Jan van Eyck s’inscrit dans une forme de réalité de naturalisme et veut donc rendre dans son œuvre une vision fidèle de la vie. La vie s’exprime dans le visage de ceux qu’il va peindre.
L’Atelier de Robert Campin nous offre un bel exemple de cette retranscription du réel avec un Portrait d’homme des années 1440. L’habit et la coiffe ont une importance secondaire car ne mettant en évidence que la position sociale mais les traits, l’expression, les rides, la couleur des yeux et les sourcils donnent de la vie au visage.
Portrait d’homme (vers 1440), Atelier de Robert Campin, Madrid
L’artiste peint Baudouin de Lannoy richement vêtu. L’on remarque aisément que la tête n’est pas proportionnée au buste, et pour cause la réalité n’est pas celle d’une proportion respectée, tout comme un visage ne peut être régulier.
Portrait de Baudouin de Lannoy (vers 1431), Jan van Eyck, Berlin
Nicolas Rolin fût peint par Rogier van Der Weyden, un autre primitif flamand, pour le retable du Jugement Dernier des Hospices de Beaune. L’on retrouve la figure du même homme mais les traits sont plus abrupts, moins travaillés, tout simplement moins humains.
Nicolas Rolin en prière (1443), Rogier van Der Weyden, Beaune
Dans La Vierge du chancelier Rolin, le visage du chancelier est une partie essentielle de l’œuvre qui est très travaillée et qui marque une rupture avec celui de la Vierge qui reste relativement commun et relativement moins expressif.
Détail de La Vierge du chancelier Rolin (vers 1430), Jan van Eyck, Musée du Louvre
Architecture
Autre caractéristique essentielle de l’œuvre : le lieu. Ici, il est difficile de reconnaître un monument existant tant l’endroit semble à la fois palais et église. L’architecture occupe une place importante, celle d’un décor qui se veut magnifier la scène. Jan van Eyck prend un soin particulier dans le spectaculaire du lieu en y assignant des éléments roman et gothiques pour faire un lieu qui a plus trait au fantastique qu’au réel. L’exemple de l’église pour le moins surprenante de L’Annonciation permet d’en faire la démonstration.
L’Annonciation (1435), Jan van Eyck, National Gallery of Art, Washington
Jacques Daret, dont La Présentation au Temple est contemporaine de La Vierge du chancelier Rolin montre également, montre également son attachement à l’architecture et son rôle de décor. Les chapiteaux roman de son œuvre racontent l’histoire d’Adam et Ève. Il est intéressant de savoir que cet élève de Robert Campin était au fait de l’œuvre de Jan van Eyck et qu’il aurait pu s’inspirer de La Vierge du chancelier Rolin pour son décor.
La Présentation au Temple (1434), Jacques Daret, Petit-Palais, Paris
Les chapiteaux de style romain laissent à penser à une église et les sols de marbre pourraient être ceux d’une salle du trône. L’idée serait sans doute de laisser le spectateur imaginer un endroit qui soit à la croisée du monde humain et du monde divin.
Détail de La Vierge du chancelier Rolin (vers 1430), Jan van Eyck, Musée du Louvre
Paysage
En arrière-plan, le paysage a son importance ou du moins Jan van Eyck le pense pour La Vierge du Chancelier Rolin. La réplique de Rogier van der Weyden suivante, montre que l’œuvre a pu s’inspirer du travail de Jan van Eyck, le parallèle est évident.
Saint-Luc dessinant la Vierge et l’Enfant (1500), d’près Rogier van Der Weyden, Groeningemuseum, Bruges
Évoquant le paysage, l’on ne peut négliger l’œuvre de Hieronymus Bosch et son soin apporté aux divers plans et aux paysages.
Ecce Homo (1485-1500), Hieronymus Bosch, Francfort
L’étude des paysages doit inclure les manuscrits et enluminures comme le montre l’œuvre suivante.
Saint-Augustin enseignant la doctrine et Clovis recevant les insignes de la monarchie française (1445), Bruxelles
Dans le Saint-Georges, l’on aperçoit la silhouette d’une nouvelle qui nous rappelle un autre paysage ainsi que les silhouettes penchées sur l’eau qui nous indique que Rogier van Der Weyden pourrait avoir appris dans l’Atelier de Jan van Eyck et reproduit le détail.
Saint Georges combattant le dragon (vers 1430), Rogier van Der Weyden, Washington
Après l’idée d’un intérieur idéal, c’est l’idée d’une ville idéale d’aspect gothique et romanesque qui semble primer dans l’œuvre des primitifs flamands. Peter Christus reprend l’idée générale de La Vierge du chancelier Rolin même si la Vierge est debout, nous retiendrons surtout le paysage d’arrière-plan qui semble être dans la continuité de Jan van Eyck.
La Vierge à l’Enfant avec sainte Barbe (1450), Petrus Christus, Berlin
Jardins
A l’époque de Jan van Eyck, l’on commence peu ou prou à sortir des forteresses inexpugnables, l’on commence à rechercher la lumière, le confort et l’agrément. Les jardins se développent donc, les jardins suspendus comme dans l’antique Babylone. Au début du XVème siècle, la représentation de la nature reste sobre et associée aux cieux. Dans l’œuvre de Maître Saint-Laurent, le groupe réunit autour de la Vierge est assis sur un tapis d’herbes bien élaborées et au style travaillé.
Vierge dans un jardin de Paradis (1410), Maître de Saint-Laurent, Cologne
Les artistes s’offrent des libertés avec la nature, en la représentant dans ce qu’elle a de plus beau, son animal noble : le paon. Fort de belles couleurs et de mouvements des plus gracieux, il n’est pas surprenant de le retrouver dans des compositions de l’époque, notamment des manuscrits. On y trouve également des lapins et aux autres animaux formant les débuts d’un bréviaire bien fournit.
Un paon, Belbello da Pavia, Chambéry
Dans une œuvre des années 1430, Jan van Eyck exprime de façon non contenue son attrait pour le décor naturel. Saint-François recevant les stigmates a pour décor un ensemble rocheux, montagneux, aux teintes étudiées. Ce motif rejoindra celui du « catalogue » usité pour La Vierge du chancelier Rolin. Ayant passé la colonnade et avant d’atteindre la cité fantastique, Jan van Eyck crée un jardin suspendu ou figure un paon, des herbes et des fleurs environnées de maçonneries qui laissent apparaître deux personnages dont celui au turban rouge pourrait être l’artiste lui-même.
Détail de La Vierge du chancelier Rolin (vers 1430), Jan van Eyck, Musée du Louvre
La Vierge du chancelier Rolin malgré sa « petite » dimension est un ensemble de défis que l’artiste a relevés. La rencontre avec la Vierge, le soin apporté au portrait du chancelier Rolin, l’architecture aux allures fantastiques, le paysage rêvé ou encore les jardins d’une grande modernité pour l’époque, Jan van Eyck nous offre son chef d’œuvre et nous offre une œuvre qui fera référence pour l’époque et apportera au spectateur une fenêtre plus ou moins réaliste sur une époque lointaine.
La Vierge du chancelier Rolin (vers 1430), Jan van Eyck, Musée du Louvre