Le 21 février 1894, Gustave Caillebotte peignait un paysage dans son jardin alors qu’il est atteint par un attaque cérébrale. L’artiste meurt à 45 ans. Le musée d’Orsay commémore les 130 ans de son décès en mettant en avant la part masculine de son œuvre.
Autoportrait au chapeau d’été (1873), Gustave Caillebotte
Né le 19 août 1848, il est le fils d’un drapier qui fait fortune sous le Second Empire, en vendant du drap aux armées. Gustave sera collectionneur et mécène parmi les impressionnistes. Il ira même jusqu’à payer le loyer de l’atelier de Claude Monet.
Joris Karl Huysmans évoque Caillebotte, en 1882, en des termes révélateurs : « Encore que les injustices littéraires et artistiques n’aient plus le don de m’émouvoir, je reste, malgré moi, surpris du persistant silence que garde la presse envers un tel peintre ».
Les hommes et l’armée
Depuis l’Antiquité, la répartition des rôles suivant le genre est existante. Au XIXème siècle, la domination du genre masculin est actée et réputée comme un état de fait naturel, biologique. Tout dans la société va vers les stéréotypes de genre : l’homme se destine aux affaires et dirige sa famille pendant que la femme est assignée au tâches d’intérieur.
Caillebotte va poser un regard moderne et peut-être même transgressif sur l’homme. En effet, il rompt avec l’idéal masculin du bourgeois. Sans doute s’interroge-t-il sur sa propre situation … Le soldat fait figure d’homme idéal, surtout s’il meurt pour la Patrie. L’artiste va peindre le soldat et lui faire adopter une posture d’assurance.
Soldat (vers 1881), Gustave Caillebotte, Pasadena
L’armée, le combat, la guerre ne sont pas dans l’idéal de Gustave. Ainsi, il se fera remplacé lors de son service militaire, mais finira par être incorporé à la Garde Nationale en 1870.
Registre de la Garde Nationale
Gustave et sa famille
L’étudiant en Droit va changer de voie. En mars 1873, Gustave est admis à l’École des Beaux-Arts après sa formation, auprès de Léon Bonnat. À Noël 1874, son père décède laissant 2 millions de francs d’héritage derrière lui ainsi que des propriétés. La famille conserve ses habitudes d’opulence et son personnel, il retranscrit cette réalité de sa place avec le Déjeuner.
Déjeuner (1876), Gustave Caillebotte
L’on retrouve René Caillebotte, le frère de Gustave, à la fenêtre de la demeure familiale, rue de Miromesnil, qui vient de se lever de son fauteuil et observe la rue avec l’assurance de la rente qu’il obtint de son héritage. L’ego et l’ennui du bourgeois sont mis en avant.
Jeune homme à sa fenêtre (1876), Gustave Caillebotte
En 1877, il présente une représentation de sa mère à l’exposition impressionniste. En habit de deuil, plongée dans sa couture, Céleste Caillebotte offre au monde sa réalité sans artifice, mais avec dignité.
Portrait de Céleste Caillebotte (1877), Gustave Caillebotte
Cette réalité, ce réalisme sera un fil conducteur dans l’œuvre de l’artiste qui interrogera tantôt la grande bourgeoisie, dont il fait partie, et tantôt, les prolétaires à l’œuvre.
L’homme au travail
L’Exposition Impressionniste de 1876 accueille une œuvre de Caillebotte : Raboteurs de parquets. L’œuvre aurait été refusée par le jury de l’Exposition de 1875, sans doute à cause de son sujet. En effet, Gustave Caillebotte s’inscrit dans le réalisme : les grands formats vont présenter des scènes de la vie contemporaine et mettre en avant le travail. Notons que l’œuvre reprend une des caractéristiques prépondérante du réalisme : la lumière provient d’en haut à gauche, en faisant naître d’épaisses ombres.
Raboteurs de parquets (1875), Gustave Caillebotte, Musée d’Orsay
N’oublions pas que Caillebotte à grandit à proximité de la manufacture de la famille et aura sans doute côtoyé des ouvriers. L’idée masculine, virile, du goût de l’effort collectif correspond à l’idéal républicain de l’époque. L’artiste veut sortir de son milieu, de sa richesse en peignant la dure réalité de l’époque et la condition de la majeure partie de la population. La version de l’œuvre de 1876 correspond également au réalisme et va ajouter la dimension de l’expérience avec un homme plus âgé qui n’a pas le torse dénudé.
Raboteurs de parquets (1876), Gustave Caillebotte, Musée d’Orsay
Depuis sa fenêtre ou du bas de son immeuble, Gustave peut admirer la vie simple des ouvriers dans leurs tâches. Il peint des Peintres en bâtiments qui semble contrôler le travail accompli. Sur la gauche de l’œuvre, l’on peut observer la vie qui suit son cours …
Peintres en bâtiments (1877), Gustave Caillebotte
Le costume masculin
De tous temps, le genre de l’individu est identifié par sa vêture. Ainsi, l’ouvrier se pare d’un habit bleu, bleu clair ou blanc pendant que le bourgeois s’affiche le plus souvent en noir. La société bourgeoise tend à bannir les couleurs vives et les matières premières luxueuses ainsi que tout ornement qui sont laissés aux dames. Si le paletot semble roi, la posture et les détails permettent de reconnaître l’homme, comme ici le col ouvert.
Dans un café (1880), Gustave Caillebotte, Musée d’Orsay
L’homme en ville
Les grands formats sont réservés à la peinture d’histoire pour marquer l’héroïsme du sujet. Caillebotte s’approprie le grand format dans des vues urbaines saisissantes de modernité. Il affiche la modernité architecturale, comme dans Le Pont de l’Europe. Cette œuvre nous laisse apercevoir un ouvrier qui contemple la gare et les locomotives, une grande modernité. Le chien fait effet de repoussoir pour nous amener à regarde le duo homme/femme. L’homme n’est autre que Caillebotte qui s’immortalise au sein d’une composition, accompagné par une dame dont on sait qu’elle entretient une relation avec l’artiste.
Le Pont de l’Europe (1876), Gustave Caillebotte, Genève
L’Exposition Impressionniste de 1877 nous permet de découvrir Rue de Paris, temps de pluie de Caillebotte. Elle est la plus grande œuvre de l’artiste mais également une des plus complexes de par sa composition. Dans les quartiers moderne aux rues pavées, l’homme se montre dans son assurance, dans sa prépondérance par rapport aux dames. L’homme au premier plan est typique du bourgeois accompli d’alors, paletot ouvert avec une belle dame à son bras.
Rue de Paris, temps de pluie (1877), Gustave Caillebotte, Chicago
L’homme au balcon
La présence du balcon dans l’œuvre de Caillebotte est sans doute inspirée de son installation sur le boulevard Haussmann. Céleste, sa mère, décède en 1878. L’Hôtel familial est alors vendu ce qui lui permet de s’installer avec son frère Martial au troisième étage d’un immeuble, comportant un ascenseur. Du balcon du troisième étage, il est possible de contempler le boulevard devenu abstrait renforçant la nuance entre la sphère privée et la sphère publique.
Homme au balcon (1880), Gustave Caillebotte
La fenêtre est un classique dans la peinture mais le balcon offre une modernité. Le balcon devient, avec les costumes et l’architecture environnante, un espace de modernité. Caillebotte y reçoit ses amis, qu’il représente en jouant sur les tons, avec quelques touches héritées des impressionnistes.
Balcon (1880), Gustave Caillebotte
Les célibataires
Gustave Caillebotte ne se mariera jamais. Malgré tout, au début des années 1880, il vivra avec Charlotte Berthier, tout en restant relativement discret sur sa vie privée. De fait, l’on retrouve dans son œuvre nombre de portrait de célibataire qui aurait pu faire croire à son propre célibat. L’œuvre Intérieur est fort intéressante : à première vue l’on pense à un couple bourgeois malheureux mais il n’en est rien. Il représente deux de ses proches relations : Charlotte, sa compagne, et Richard Gallo, son ami, célibataire endurci.
Intérieur (1880), Gustave Caillebotte
L’artiste va également peindre son cousin, Henri Cordier. Auteur et professeur à l’École des langues orientes, l’homme est un érudit, un passionné investi dans son ouvrage, comme pouvait l’être Gustave.
Portrait d’Henri Cordier (1883), Gustave Caillebotte, Musée d’Orsay
Les célibataires se regroupent en société pour partager des instants de vie, notamment en jouant à des jeux de carte comme représenté dans la Partie de Bézigue. Caillebotte y figure son frère Martial à droite, ainsi que ses amis. Admirons les figures qui ne sont pas distantes mais plutôt concentrées et chaleureuses.
Palette de Bézigue (vers 1881), Gustave Caillebotte, Abu Dhabi
Le nu masculin
Le nu est assez répandu dans les arts mais pas dans l’œuvre de Gustave Caillebotte. Il exécute tout de même quelques œuvres de nu. Nulle idéalisation ne s’y trouve, le réalisme est de mise. L’homme est représenté dans sa vulnérabilité, sa vérité, en opposition avec les conventions de l’époque.
Homme s’essuyant la jambe (vers 1884), Gustave Caillebotte
L’Homme au bain implique la réalité d’une pose où la virilité masculine se combine avec la féminité de la toilette.
Homme au bain (1884), Gustave Caillebotte, Boston
Les loisirs
Toujours en quête de modernité, Caillebotte va représenter un héritage de la France de la fin du XIXème siècle : les loisirs. L’on représente, jusqu’alors, des hommes et des femmes dans des petites barques entourés d’éléments d’émotions romantique. Gustave va choisir un autre angle de représentation : le canotage masculin et sportif. La discipline et la force physiques représentant un moyen de s’évader face à la société industrielle. Il va privilégier les périssoires aux barques à plusieurs places. Dans un espace d’intimité, il représente des promenades sur la Marne.
Périssoires (1877), Gustave Caillebotte, Washington
Merveilleuse exception, Gustave représente un promeneur en barque. L’élégance est de rigueur : un tenue de ville et un haut de forme en soie. Il met en valeur sa silhouette en le plaçant au centre, au premier plan, et dans une sphère intime avec le spectateur de l’œuvre.
Partie de bateau (vers 1877-1878), Gustave Caillebotte, Musée d’Orsay
L’artiste fait un choix précis quant au cadrage de ses œuvres, et notamment sur les canotiers. Le spectateur à proximité immédiate peut s’assurer de la force physique et de la rigueur, de l’homme viril.
Canotiers (1877), Gustave Caillebotte
Le thème des loisirs d’eau semble avoir été important pour l’artiste qui va réaliser trois grandes toiles destinées à orner une des pièces de sa maison de Yerres. L’ensemble ne sera jamais installé.
Pêche à la ligne (1878), Gustave Caillebotte
Dans ses trois panneaux, la reflexion parait des plus aboutie : le cadrage ; les scènes de pêche, de baignades, les périssoires ; le lien entre le sport et le loisir est clairement établi.
Périssoires (1878), Gustave Caillebotte
L’amateur
Le domaine de Yerres est vendu pour une demeure au Petit-Gennevilliers. D’autres passions peuvent y être assouvies. Caillebotte se tourne vers la Normandie et va peindre Chemin montant, où l’on retrouve sans doute sa compagne et un de leurs ami à proximité de Trouville. La lumière est belle et le coloris très vif.
Chemin montant (1881), Gustave Caillebotte
Caillebotte laisse le témoignage de ses souvenirs avec l’œuvre suivante offerte à son frère pour la naissance de sa fille. Les deux enfants tournant le dos sont sans doute les deux frères et le petit chien celui de la compagne de Gustave.
Les berges du petit Gennevilliers et la Seine (1890), Gustave Caillebotte
Gustave trouve vers la fin de sa vie un nouvel ami avec qui il se représente dans Bord de la Seine, Émile Lamy. Le fabricant de chaussure est un amateur de yacht et de sa pratique, comme Gustave.
Bord de la Seine, au petit Gennevilliers, en hiver (vers 1893), Gustave Caillebotte
Gustave peut assouvir sa passion pour les régates dans son nouvel environnement. Il va peindre sur ce thème au début des années 1890. Il y consacre son dernier grand format, ci-dessous, montrant de beaux bateaux manœuvrés par deux hommes, dont l’un n’est autre que Gustave Caillebotte.
Une course de bateaux (1893), Gustave Caillebotte
A la fois réaliste et personnel, son regard sur le monde qui l’entoure et les figures qu’il croise montre les interrogations qui sont celles de l’artiste. Son œuvre de 1877, Le Pont de l’Europe va à l’encontre des conventions de la peinture qui lui sont contemporaines : le récit de l’œuvre n’est pas clair, les hommes sont tous retournés, … le pont occupe l’espace l’œuvre est d’un réalisme laissant à penser à une photographie mal prise, la rupture est totale.
La jeune République d’alors ne s’est pas encore penchée sur l’inégalité entre les genres mais l’artiste montre le début d’une sorte de désacralisation de l’homme. Au-delà des classes sociales, il semble en quête d’un idéal masculin moderne de force et de virilité réinventée.
Le pont de l’Europe (1877), Gustave Caillebotte, Fort Worth