1715, la vieille Europe des monarchies vit à l’heure française.
À 8 h 15, le 1er septembre 1715, un monde périt pour en voir un autre naître. Les sujets du Roi de France sont orphelins de cet homme qui aura régné, par la Grâce de Dieu, pendant 72 ans sur la France.
En effet, de retour de chasse, le 10 août 1715, le Roi-Soleil souffre d’une douleur à la jambe. Une sciatique est diagnostiquée … or le Roi est atteint d’un mal plus profond : la gangrène. La douleur n’empêche pas le Roi d’être à ses fonctions jusqu’au 25 août 1715 où il sera finalement alité dans sa chambre, qu’il ne quittera plus.
Après avoir organisé sa vie et celle de sa Cour avec l’Étiquette, il va faire de sa mort un spectacle, une tragédie, livrée à la postérité pour que se poursuivre jusqu’à la fin le mythe de l’astre que fut Louis Dieudonné le Quatorzième.
Louis XIV et le Dauphin en carrosse devant Versailles (1715), Pierre Gallays
Louis, 5 ans, Roi de France
« Le Roy est mort ! Vive le Roy ! »
Le 1er septembre 1715, Louis XIV meurt. Il est instantanément remplacé sur le trône par son arrière-petit-fils : Louis, Duc d’Anjou, qui devient Louis le Quinzième.
Seulement le Roi n’a que 5 ans, la majorité royale étant fixée à 13 ans, il ne peut exercer ses fonctions. De fait, Louis XIV avait prévu des dispositions dans son testament : Louis XV monte sur le trône et sera assisté du Duc du Maine, qui se chargera de son éducation et de sa sécurité, et du Duc d’Orléans qui sera le Président du Conseil de Régence. Le Duc du Maine aurait donc une forte influence sur le jeune Roi, ce qui n’est pas du goût de Philippe d’Orléans.
Le 2 septembre 1715, le Testament de Louis XIV ouvert en chambre du Parlement de Paris va être cassé : Philippe d’Orléans devient Régent et détient le pouvoir.
Louis XV, Roi de France (1717), Augustin Justinat
Le Roi-Soleil achève son voyage : son convoi funèbre quitte Versailles, le 9 septembre 1715 vers 14 h, pour rejoindre la Basilique Saint-Denis. Dans le même temps, Louis XV, le Régent, le Gouvernement et la Cour quittent Versailles. Après avoir passés le château de Saint-Cloud, le cortège funèbre du l’ancien Roi prend la route de la basilique Saint-Denis pendant que le cortège royal entre dans Paris par la Porte Saint-Honoré.
Entrée de Louis XV à Paris (1715)
Louis XV et la Cour rejoignent le château de Vincennes ou ils resteront jusqu’en décembre. De Vincennes, la sécurité du Roi pourra être assurée et le Régent peut préparer Paris pour l’exercice de son pouvoir.
Vue générale du château de Vincennes (1715), Claude-Auguste Berey
Le 12 septembre 1715, le jeune Louis XV quitte son palais de Vincennes pour rejoindre Paris. Le lit de justice est une séance exceptionnelle du Parlement de Paris qui permet au Roi de faire enregistrer une Loi avec toute la puissance de sa royale fonction. Ainsi, le 12 septembre 1715, Louis XV tient son premier lit de justice pour mettre en place la Régence de Philippe d’Orléans.
Lit de justice de Louis XV, le 12 septembre 1715 (1715), Louis-Michel Dumesnil
Au-delà du premier acte du jeune Roi, ce lit de justice est l’occasion d’une démonstration de la continuité de la dynastie et du pouvoir. L’œuvre suivante détaille la sortie du Parlement du Roi, elle nous permet d’appréhender les lieux. Le Parlement de Paris siège dans le Palais de la Cité, l’escalier, appelé « Grand degré » permettait d’accéder à la Grande-chambre du Parlement. Dans le détail de l’œuvre, l’on aperçoit le Roi porté par son Grand-Écuyer et montré à la foule quoique quelque peu caché par le Régent qui tient place devant lui.
Sortie du lit de justice, 12 septembre 1715 (1737), Pierre-Denis Martin
Le 30 décembre 1715, le Roi quitte Vincennes pour le Palais des Tuileries, rénové pour la présence royale. Il va commencer son instruction de façon accélérée dans les domaines de la politique, la géographie, l’histoire, l’équitation, la danse, la botanique ou encore la tactique militaire. Le Régent visite régulièrement le Roi et s’enquiert de ses progrès.
Louis XV recevant une leçon en présence du Régent (1720)
Dans le même temps, cette existence d’élève en formation et siégeant en plein milieu de la capitale permet au jeune Roi de se promener dans Paris et d’en rencontrer les habitants.
Parallèlement à cela, il exerce certaines missions de représentation pour ne jamais quitter sa fonction aux yeux du grand public mais également pour l’habituer aux fonctions qui seront les siennes.
Louis XV octroyant des lettres de noblesse au corps de la ville de Paris (1716), Louis de Boulogne
Philippe d’Orléans, Régent de France
Né le 2 août 1674, Philippe d‘Orléans est le neveu du Roi Louis XIV, la prépondérance de sa position sur le Duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV, ne semble pas souffrir de comparaison.
Malgré tout, le Testament du Roi ne fait pas de lui le Régent mais l’un des Régents ce qu’il fera casser. Sans doute comme remerciement, le Régent redonne au Parlement son droit de remontrance, c’est-à-dire que le Parlement peut contester la Loi venant du Roi lorsqu’elle est contraire aux intérêts du royaume. Ainsi, le Régent redonne du pouvoir à cette chambre tout en limitant l’absolutisme du souverain français.
Philippe, Duc d’Orléans, Régent de France et son fils (1715)
Pour gouverner au mieux, le Conseil de Régence va être épaulé par sept autres « sous-conseils » : le Conseil de Conscience, le Conseil des Affaires-Étrangères, le Conseil de la Guerre, le Conseil des Finances, le Conseil des Affaires du dedans du Royaume, le Conseil de la Marine et le Conseil du Commerce. Ce système de conseils est appelé : polysynodie. Il permet une intégration de la noblesse de robe et de celle d’épée. Chaque conseil est un ministère géré en collégialité avec pour objet de rendre des conseils avisés au Régent. Bien que moderne pour l’époque et pour le Royaume de France, il sera critiqué et sera abandonné le 24 septembre 1718. Le système sera jugé lent et manquant d’efficacité, il est remplacé par le retour des portefeuilles des secrétaires d’État.
Almanach pour l’année 1716 (1716), Gérard Jollain II
Toujours est-il que le défi du Régent est immense : protéger le Roi Louis XV, assurer les frontières, apaiser les tensions religieuses et assainir les finances du Royaume …
Le problème majeur du royaume demeure encore et toujours les finances royales … Lorsque le Roi-Soleil quitte le monde, la dette de la France est de 2,8 milliards de livres … On lui suggère la convocation des états-généraux, sans doute pour lever un nouvel impôt, il ne le fera pas et tentera de nouvelles aventures économiques avec John Law.
Law base son système sur deux points : la richesse d’un pays provient de son commerce et le commerce nécessite une masse monétaire importante.
John Law (1718)
Somme toute, l’État doit éditer une masse de papier-monnaie et prendre le contrôle du commerce pour rembourser sa dette. De fait, Law crée en 1717 la Banque Générale qui prête aux commerçants du papier-monnaie remboursable en monnaie métallique, l’idée est fructueuse pour l’État. Parallèlement, Law prend le contrôle des Compagnies commerciale, donnant naissance en 1719 à la Compagnie perpétuelle des Indes. Cette compagnie a le monopole sur le commerce colonial et reçoit directement les impôts indirects.
En 1720, Law fusionne la banque et la compagnie. Les actions de cette entreprise sont vendues rapidement et l’État y trouve un merveilleux moyen de renflouer ses caisses. La juteuse affaire aurait pu se poursuivre mais l’État devenu trop gourmand ne verse que peu de dividendes à des actionnaires de plus en plus mécontents. Les actions sont revendues et leur valeur baisse et tous les actionnaires veulent être remboursés contre de l’or ou de l’argent ce qui fera conduira à la faillite de la banque …
Rue Quincampoix (1720)
Si le système Law s’effondre et que sont fondateurs s’enfuie, la France se désendette et relance son commerce, ouvrant de nouvelles perspectives économiques favorables pour la France.
Par ailleurs, le 10 octobre 1716, une alliance entre la France et la Grande-Bretagne est signée. Elle permet de se prémunir contre Philippe V le Roi d’Espagne qui pourrait avoir des visées sur le trône de France. Au gré des alliances, le Régent parvient a conserver le rôle prépondérant de la France. Le rapprochement avec l’Espagne est acté par le traité de Paris du 22 novembre 1722 qui implique plusieurs mariages dont celui de Louis XV avec l’Infante Marie-Anne-Victoire.
Allégorie des fiançailles de Louis XV et de l’Infante d’Espagne (1722), Nicolas de Largillière
La Régence et le renouveau
Paris se réinvente en 1715 à la faveur du retour de la Cour, des ministères et de leurs administrations. Le règne précédent fût celui des commandes royales, la Régence va quant à elle en diminuer le rythme mais les architectes et autres artisans ne vont pas manquer de travail avec une augmentation significative des commandes privées, la Cour veut se loger dans Paris.
Vue de Paris (1716), Pierre-Denis Martin
Si les finances royales ne permettent pas une complète transformation de la capitale, le Régent y fait bâtir des fontaines accessibles à tous les parisiens. L’on voit s’ériger les hôtels d’Évreux et de Matignon ainsi que le Palais Bourbon. On modernise, on décor, on abandonne le lourd décor hérité du Roi-soleil pour plus de vivacité. Le Régent ne manque pas de faire embellir le Palais-Royal, sa demeure.
Plan du Palais-Royal (1710)
L’austérité du Grand-Siècle laisse place à la recherche du confort. Les inspirations italiennes et celles provenant de la nature laisse apercevoir le futur style rocaille.
Planches des dessins de mobilier (1719), André-Charles Boulle
Le mobilier de style Régence est reconnaissable par son admirable facture et par le détail de ses ornementations, les commodes sont assez symboliques de cette époque tout comme les meubles et buffets d’horloges signés André-Charles Boulle.
Pendule d’Hercule et d’Atlas à piédestal triangulaire (1712), André-Charles Boulle
Le raffinement est omniprésent dans la haute-société dans cette période de liberté qui se veut confortable. Pour résumer cet art de vivre, l’observation du coffret à thé du Régent (ci-dessous) est un fameux exemple.
Coffret nécessaire à thé du Régent (1719)
Philippe d’Orléans, le Régent, est aussi un homme éclairé. Il fût attiré par la peinture, Antoine Coypel fut son instructeur, et la musique qu’il apprend avec le grand Marc-Antoine Charpentier.
Le temps de l’austérité ne permet pas de grandes commandes d’art mais les salons d’art, de littératures ou encore politiques vont se multiplier et la Cour va s’éparpiller dans de nombreux hôtels particuliers faisant de la capitale une ville qui tient son rang.
Mme de Tencin servant le chocolat (1716), Jacques Autreau
La Régence c’est aussi la renaissance du théâtre, le retour de la comédie italienne. Des compagnies vont monter, des pièces sur l’actualité politique. On jouera à nouveau, en 1721, dans la salle de spectacle des Tuileries.
Comédiens italiens jouant dans un parc (1719), Jean-Baptiste Oudry
La peinture voit aussi de nouvelles heures. Antoine Watteau est souvent associé à la Régence, l’on peut également citer Nicolas de Largillière ou encore François de Troy.
Jean de Juliennes (1722), François de Troy
Louis XV, Roi de France
Louis XV a 12 ans en 1722. Alors que la Régence essuyé nombre de critiques des suites de la chute du système de Law et des difficultés liées au Parlement de Paris, le Régent décide d’éloigner le pouvoir de la capitale. Dès lors, Louis XV rentre à Versailles le 15 juin 1722, il y est suivi par la Cour.
Le retour du Roi à Versailles permet de faire passer le message du retour à l’absolutisme avec la future majorité de Louis XV. De fait, Louis XV est sacré Roi de France en la cathédrale de Reims, le 25 octobre 1722.
Louis XV (1719), Jean Ranc
Le treizième du Roi étant arrivé, l’on tient le lit de justice de sa majorité, le 22 février 1723. Le Roi prend la place qui est la sienne même si le Régent continue à régner en coulisses.
Le lit de justice à la majorité de Louis XV (1723), Nicolas Lancret
Le Régent laisse le pays en meilleur état que celui dans lequel il l’avait trouvé. Les finances ont été rétablies, la France désendettée, les frontières sûres et des alliances bien organisées. Il aura aussi permis à la culture et en particuliers aux arts de reprendre leur place.
Philippe d’Orléans meurt le 3 décembre 1722.
Allégorie à la gloire de Philippe d’Orléans, Régent de France (1718), Antoine Dieu