Saint-Malo et son histoire

Saint-Malo est la cité corsaire par excellence ou tout du moins dans l’esprit de notre époque. Chacun à connaissance ou souvenance de ses remparts, de sa silhouette, l’on croit tous connaître son histoire et pourtant l’on n’en connait guère le détail, l’on se satisfait de la beauté de ce lieu balayer par la mer. Les sources sont pourtant multiples et les petites histoires de l’Histoire sont pléthores et rendent sans doute cet enchevêtrement bien difficile d’accès, tâchons d’en rendre, si ce n’est l’essence, au moins l’essentiel.

Saint Malo depuis Dinard

Saint Malo depuis Dinard

Saint-Malo dans l’Antiquité

La terre où sera bâtie Saint-Malo fait partie du territoire des Coriosolites, un peuple gaulois détenant toute la Bretagne actuelle. Aleth est un port important à cette époque, il se situe à l’emplacement de l’actuel Saint-Sevran.

Vue sur Saint-Sevran depuis le Bastion Saint-Philippe, Saint-Malo

Vue sur Saint-Sevran depuis le Bastion Saint-Philippe, Saint-Malo

Bien qu’ayant pris les armes contre les Romains, les Coriosolites intègrent l’Empire. À la suite d’un incendie d’Aleth, le territoire est abandonné par ses habitants. Les romains vont, malgré tout, revenir et fortifier le port qui est géographiquement avantageux.
Au début du Vème siècle de notre ère, le départ des romains modifie le destin de la région. Aleth voit sa population chuter à cause des pirates Saxons et Germaniques.

Malo, un saint en Armorique

Dans le pays de Gwent, à proximité du pays de Galles, naquit vers 520 en la paroisse de Llancarfan un homme nommé Malo, Maclow ou Machut. 
Un autre Gallois était arrivé quelques temps plutôt à proximité d'Alet : Aaron. Il prit ermitage sur un rocher faisant face à Alet, le futur rocher de Saint-Malo.

Chapelle Saint-Aaron, XVIIème siècle, Saint-Malo

Chapelle Saint-Aaron, XVIIème siècle, Saint-Malo

Arrivant sur la côte continentale, Malo aurait rejoint l’ermite en l’an 538, où il devient son disciple. A la mort d’Aaron quelques années plus tard, Malo rejoindra Alet et évangélisera une population qui fera de lui son évêque en 590.
Il quittera la ville pour rejoindre Saintes où il mourut en 621. 
Ses reliques revinrent à Alet et à l’ermitage d’Aaron quelques décennies plus tard.

Saint-Malo au moyen-âge

Les raids des Vikings des années 878 à 930 vont ruiner la ville d’Alet. La ville est difficile à défendre et le quotidien de ses habitants rendu de plus en plus difficile … ainsi, L’évêque d’Alet, Jean de Châtillon décide de transférer son évêché sur le rocher de Saint-Malo en 1146 et d’y édifier les prémices de la ville que l’on connait. Le Pape Eugène III reconnu à l’évêque le déplacement de son épiscopat. Par ailleurs, le Duc de Bretagne Conan III reconnaîtra le déplacement et accordera multiples droits et prérogatives à l’évêque de Saint-Malo.
En effet, l’évêque de Saint-Malo est un véritable seigneur sur ses terres. Il peut donc éditer des lois, lever des impôts, rendre justice, élever des murailles, nommer des juges, des fonctionnaires, des officiers, des matelots et des gens d’armes. L’évêque et le chapitre se partagent la propriété des terres et donc des revenus mais seul l’évêque rend justice ou prélève l’impôt, une situation d’indépendance malgré la prépondérance du duc de Bretagne.
Tout évêque qu’il fût, Jean de Châtillon doit héberger son prestige dans une véritable cité. Sur ce fameux rocher fût bâtie une église en l’honneur de Malo … Cette église fût incendiée en l’an de grâce 811 par les armées de Charlemagne. Il exista, plus tard, une église dédiée à Saint-Vincent bâtie par l’évêque Hélocar aux alentours des années 815, il n’en reste que les piliers carrés de la nef.

Piliers carrés, Cathédrale de Saint-Malo

Piliers carrés, Cathédrale de Saint-Malo

L’évêque fait reconstruire la cathédrale en 1152, à l’emplacement de la cathédrale actuelle. De cet ensemble de style roman, qui fut remanié et coulé dans l’ensemble gothique, l’on peut admirer le cloitre roman dont une partie subsiste.

Cloître roman, Saint-Malo

Cloître roman, Saint-Malo

Pour suite de ses projets, l’évêque prévoit la sécurisation de la nouvelle cité. Auparavant il existait çà et là quelques murs de pierres ou de remblais mais rien de vraiment défensif.
Ainsi, en l’an de grâce 1155, Jean de Châtillon démarre le chantier de construction d’une enceinte entourant Saint-Malo. Aucun véritable plan ne sera fait … le tracé suit la courbure naturelle du rocher., les hauteurs de murailles semblent différentes, tout comme les tours, l’ensemble devait être assez étrange. La cité conserve l’ancienne tour du Donjon ou Petit-Donjon datant de cette époque, d’autres vestiges de ces premiers remparts existent mais furent réemployés et « coulés » dans les ouvrages suivants.

Petit-Donjon, Saint-Malo

Petit-Donjon, Saint-Malo

Pour son grand malheur, Saint-Malo occupe une place stratégique au XIVème siècle. Faisant partie du giron du duché de Bretagne, l’évêque et le chapitre sont taxés par le Duc de Bretagne. Mais plus encore, celui-ci n’est que peu intéressé par la cité sauf en ce qui concerne son conflit avec les Anglais car le commerce est important et des plus florissant dans la cité malouine. 
S’en était assez, les autorités de Saint-Malo tombent d’accord et ne répondant plus aux demandes du duc Jean V et déclarent que la seigneurerie ne devra homme qu’au Pape (homagium soli papae debetur). Cela ne plait pas au duc qui tente de reprendre la cité en occupant les terre et en tentant de faire couper l’accès au port … Le Pape tranche et accepte que la cité s’offre au Roi de France Charles VI. Ce changement de statut permettra à la ville d’augmenter l’activité commerciale et donc les revenus pour tous les bourgeois de Saint-Malo.
Le Roi va également en profiter pour renforcer les défenses de la cité avec la construction du château Gaillard. Ce château engloba le Petit-Donjon et les autres tours et fortifications annexes, un ensemble imposant.
 
L’histoire se mêle à nouveau à l’histoire de la cité. En effet, Charles VI a pour gendre le Duc Jean V de Bretagne à qui il rend la cité. La transition s’avère difficile et l’économie de la ville est largement décroissante … François II, le nouveau Duc de Bretagne traverse des problèmes de trésoreries, il va donc augmenter les impôts et la résistance et les conflits s’en trouveront largement amplifiés.
Dans les années 1470, François II fait construire d’imposantes tours d’artilleries pour contrer les ambitions et les éventuelles attaques du Roi de France, il va également renforcer les fortifications de la petite cité. Il va également agrandir le château ducal en y faisant construire la tour Générale.

Tour Bidouane (tout d’artillerie), Saint-Malo

Tour Bidouane (tout d’artillerie), Saint-Malo

Toujours en conflit avec la France, François perd la Guerre Folle et doit abandonner quatre places fortes au Roi, Dont Saint-Malo qui redevient français.
La ville devient définitivement française lors du mariage d’Anne de Bretagne, fille du Duc François II, et du Roi Charles VIII, en 1491. La Reine Anne fit ajouter une quatrième tour au château, ce qui ne manqua pas d’être accueilli par les protestations des habitants auxquels elle répondit : « Qui qu’en groigne, ainsi sera, car tel est mon bon plaisir », la tour fut donc surnommée tour « Qui qu’en Grogne ». À cette époque, le château prend la forme qu’on lui connait toujours.

Entre la Tour « Qui qu’en Grogne » et le château Ducal, Saint-Malo

Entre la Tour « Qui qu’en Grogne » et le château Ducal, Saint-Malo

La Bretagne devenue française, la cité malouine perd de son importance militaire. Le XVIème voit la colonisation des Amériques et le développement des échanges avec les Indes. La cité malouine vit naître en son sein, en 1491, Jacques Cartier. Le brillant explorateur est chargé par François Ier d’explorer et plus tard il colonisera le Canada.

Tombe de Jacques Cartier, Saint-Malo

Tombe de Jacques Cartier, Saint-Malo

L’importante cité continue à se développer et doit aussi adapter ses défenses, les Grand’porte est assortie de deux tours.

Grand’porte, Saint-Malo

Grand’porte, Saint-Malo

Dans le même temps, l’île du Grand Bé devient un ouvrage de défense avec la construction d’une redoute (un petit fort).

L’île du Grand Bé

L’île du Grand Bé

La République de Saint-Malo

En pleine Guerre de Religion, Saint-Malo va tirer son épingle du jeu. En effet, le pouvoir royal est affaibli et le Gouverneur de Bretagne prend part dans la Ligue.  L’agitation gagne la ville. Le gouverneur s’est réfugié dans le château qui est pris par cinquante jeune malouins, à l’issue d’une bataille difficile. La République de Saint-Malo est donc constituée le 11 mars 1590. Il est probable que ce soit de cette époque que provienne la devise : « Ni Français, Ni Breton, Malouin suis ».
La cité de Saint-Malo est prospère et c’est donc sans mal que la République Malouine gouverne en édictant des traités commerciaux et en assurant sa propre sécurité.

Maison de la Duchesse Anne, XVIème siècle, Saint-Malo

Maison de la Duchesse Anne, XVIème siècle, Saint-Malo

A l’époque, Saint-Malo possède une flotte puissante qui lui permettra d’assurer son indépendance et la cité stocke nombre d’armes et de vivres lui permettant d’assurer son opulente survie.
La République aura veillé à toujours être en dehors des conflits pour assurer la prospérité de son commerce.
Quelques années plus tard, le Roi Henri IV abjure le protestantisme. Le Parlement de Bretagne va permettre le retour de Saint-Malo dans le giron français grâce à des cadeaux et en laissant à la cité tout ce qu’elle a pu obtenir du commerce pendant sa période indépendante. 
La République de Saint-Malo prend fin le 4 octobre 1594, à l’issue de quatre années où s’est forgée une véritable identité malouine.

Saint-Malo à l’époque moderne

Plusieurs armateurs vont se réunir et former la Compagnie des marchands de Saint-Malo, Laval et Vitré, en 1601. Ce faisant, ils vont armer deux bâtiments pour Madagascar, ce seul fait permet d’imaginer la puissance de la cité malouine en ce début du XVIIème siècle.
En 1652, il fût bâti le cavalier des champs de Vauvert, ouvrage défensif à belle allure.

Cavalier des champs de Vauvert, Saint-Malo

Cavalier des champs de Vauvert, Saint-Malo

Quant à elle la cité fait face au feu, le 27 octobre 1661, dans toute la Grand’Rue. Pendant 13 heures, il va détruite plus de 200 maisons, on parlera de la Grande Brulerie.
L’année 1674 vue la chute d’une partie des remparts abimés par le temps… à la place fût construit le bastion de la Hollande.

Bastion Saint-Philippe, Saint-Malo

Bastion Saint-Philippe, Saint-Malo

Situé à 300 mètres du château de Saint-Malo, l’on construisit le fort National sur le rocher de l’Islet. L’idée étant de protéger la cité, il est érigé en véritable fort avec pont-levis, batteries, créneaux, …

Fort National, Saint-Malo

Fort National, Saint-Malo

Le fort du Petit-Bé date lui aussi de la même période, au moment où les Anglais attaquent en 1693 sa construction n’est pas achevée. Préparé pour 10 canons, il en accueillera une cinquantaine en 1759.

Le fort du Petit-Bé, Saint-Malo

Le fort du Petit-Bé, Saint-Malo

La concurrence se fait plus rude pour les armateurs et l’on démarre nombre d’explorations qui vont permettre également de lutter contre l’Espagne lors de la Guerre de succession d’Espagne du XVIIIème siècle. Dans cette optique, l’on retrouve dans l’Histoire le nom de René Duguay-Trouin qui va remporter nombre de batailles contre les Anglais et les Hollandais sous la bannière du Roi Louis XIV et ainsi participer à la réputation de la Marine française.

Statue de Duguay-Trouin, Saint-Malo

Statue de Duguay-Trouin, Saint-Malo

La richesse des armateurs de la cité malouine est connue et elle se reflète dans ce prêt de 30 millions de livres consentis au Roi Louis XIV pour ses guerres. La prospère cité est à l’étroit, elle sera donc agrandie de trois quartiers.

Bastion Saint-Philippe, Saint-Malo

Bastion Saint-Philippe, Saint-Malo

Cet agrandissement sera rendu possible par les travaux organisés par Vauban. Une partie des vieilles fortifications sont détruites pour laisser la place à de nouveaux quartier et à de nouveaux bastions. N’oublions pas que les travaux furent financés par la cité et ses grands armateurs.
De fait, en 1709, la porte Saint-Vincent est construite dans un style moins défensif et oppressant que la porte principale.

Porte Saint-Vincent, Saint-Malo

Porte Saint-Vincent, Saint-Malo

Au XVIIIème siècle, Saint-Malo est le 5ème port français dans le domaine de la traite des nègres qui est un commerce des plus intéressant pour les armateurs malgré certains conflits moraux ou maritimes. Cette importance du commerce va attirer les ennemis Anglais qui tenteront plusieurs fois de détruire la cité.

Saint-Malo, cité corsaire

D’abord, il faut distinguer le pirate du corsaire. Le pirate est en dehors des lois et attaque et pille à son bon gré. Le corsaire, quant à lui, est chargé d’une mission de l’État de capturer ou de couler des bâtiments ennemis ou d’effectuer des représailles. À partir du XVIIème siècle, le corsaire possède une lettre de marque qui porte le nom du navire, celui du capitaine et des informations sur l’équipage et les canons. Les bâtiments pris devaient être amenés devant l’Amirauté avant que ce butin soit séparé comme suit : 1/1Oè du gain à l’Amiral ; ensuite 1/3 au propriétaire du navire, l’armateur ; 1/3 à l’avitailleur, celui qui fournit la poudre et les vivre et le dernier tiers au capitaine et à l’équipage.

Le 12 décembre 1773, rue Pélicot à Saint-Malo, naquit Robert Charles Surcouf. Issu d’une famille de commerçant nul ne le dirigeait vers une carrière de corsaire et pourtant il fugue du Collège des Jésuites en 1786 et embarque sur le Héron alors qu’il n’a que 13 ans et demi. Il rejoint la Marine Marchande, puis la Marine royale et prend place sur des navires négriers en tant qu’officier. Il est capitaine corsaire à ses 20 ans et ses exploits et sa réputation sont émaillés de conflits juridiques avec l’État.

Statue de Robert Surcouf, Saint-Malo

Statue de Robert Surcouf, Saint-Malo

Il épouse la fille de l’armateur malouin Louis Blaize de Maisonneuve en 1801. Surcouf armateur connaîtra des difficultés. En effet, équiper un navire coûte très cher et les risque de non-retour de mission sont très grand … Il arme 116 bâtiments entre 1814 et 1827 avec une prise de risques limités 2/3 de ses activités impliquent la pêche à la morue et le transport sur courte distance pour le reste se sont du commerce et du commerce négrier dans l’océan Indien.

Maison de Robert Surcouf, Saint-Malo

Maison de Robert Surcouf, Saint-Malo

De la révolution à nos jours

L’expérience de République deux siècle plus tôt fait que la Révolution française est bien accueillie à Saint-Malo.
Malgré tout, le courant visant à faire cesser la traite des nègres n’est pas une bonne nouvelle pour la cité qui va y perdre de son influence et de son importance.
 
François-René de chateaubriand, le grand auteur et fils de corsaire, a laissé son empreinte au sein de la cité malouine. En effet, il y naquit le 4 septembre 1768 dans l’hôtel de la Gicquelais. Tour à tour, écrivain, ambassadeur, ministre, il cherche le lieu ou pouvoir reposer après son trépas et son choix finit par se tourner vers sa ville natale. Il fait la demande d’une concession d’une partie du Grand Bé qui lui sera refusée. La demande reformulée sera acceptée en 1831. Il meurt le 4 juillet 1848 à Paris et sera enterré sur le Grand Bé : « Un grand écrivain français a voulu reposer ici pour n’y entendre que la mer et le vent. Passant respecte sa dernière volonté. »

Tombe de Chateaubriand, Saint-Malo

Tombe de Chateaubriand, Saint-Malo

L’ancien port de commerce et négrier se transforme en grand port de pêche à la fin du XIXème siècle.

Maison, Saint-Malo

Maison, Saint-Malo

La seconde guerre mondiale vient frapper la cité. En effet, la cité est occupée par l’armée allemande dans l’optique de la défense de l’Atlantique. Ce faisant la ville est bombardée le 6 août 1944. Les bombardements se poursuivent jusqu’au 14 août 1944. La ville bien que libérée est détruite à 80 %, une perte immense …
La résurrection de Saint-Malo aura lieu quelques années plus tard. Intra-muros, la cité se transforme avec la création d’une circulation facilitée pour les voitures mais également avec la reconstruction dans un style proche de ce qu’il reste de la cité et dans l’idée d’en conserver le souvenir et l’identité.

Saint-Malo depuis Dinard