1890 voit émerger un mouvement qui va marquer les arts : l’Art Nouveau. Ce style est présent en France et en Belgique, où il va faire évoluer l’architecture et les arts décoratifs.
Cet art peut être vu comme une révolte contre le clacissismes, modèle des vieilles capitales européennes. Il va abandonner les références antiques, laisser une place importante à la nature, mélanger les diverses formes d’art ou encore prendre place dans le progrès. Plus que tout, ce mouvement se veut être un « art total » qui fait entrer une caractéristique esthétique forte dans la vie quotidienne, et donc ne pas seulement s’adresser à une élite.
Les Amoureux (1888), Émile Friant, Musée des Beaux-Arts, Nancy
Majorelle et l’École de Nancy
A la suite du Traité de Francfort de 1871, à l’annexion de 20 % du territoire par l’Empire allemand, Nancy se trouve être l’un des plus grandes villes d’importances à l’est de la France. La ville va profiter d’un afflux important d’intellectuels et de capitaux apportés avec les Alsaciens et les Mosellans fuyant l’Empire Allemand.
L’art nancéen est présent à l’Exposition Universelle de Paris de 1900 avec la participation d’Émile Gallé, de Louis Majorelle et de la production des verreries Daum.
Signature de Louis Majorelle, Villa Majorelle, Nancy
Le rayonnement de la Lorraine est d’importance pour la filière d’art nancéenne et c’est ainsi que l’École de Nancy, Alliance provinciale des industries d’art est créé le 13 février 1901. L’organisation est une association qui ressemble à un syndicat. Son bureau est composé de grands noms : Émile Gallé, président, ainsi que trois vice-présidents : Louis Majorelle, Antonin Daum et Eugène Vallin.
L’École de Nancy veut mettre en avant la production des industries et surtout de l’artisanat d’art de la Lorraine. La volonté est également de concurrencer Paris en terme de rayonnement culturel, d’apporter une autre vision. Ainsi, cette composante du mouvement Art Nouveau vise à la promotion des arts décoratifs de disciplines variées comme l’architecture, la peinture, l’imprimerie, la ferronnerie, la cristallerie, le dessin, l’ébénisterie ou encore le vitrail.
Porte d’entrée, Villa Majorelle, Nancy
L’inspiration première est la nature. Les décors floraux du moyen-âge et peut-être ceux réinventés par Eugène Viollet-le-Duc, vont avoir une forte influence sur le président de l’École de Nancy, qui fréquentera l’École Nationale des Eaux et Forêts.
Vase Lilas (1910), Verreries Daum, Musée des Beaux-Arts, Nancy
Louis Majorelle et Henri Sauvage
Louis Majorelle naquit le 26 septembre 1859 à Toul. Auguste Majorelle, son père, est concepteur et fabricant de meuble. En 1861, la famille déménage à Nancy. Après avoir étudié à l’École des Beaux-Arts de Paris, il rentre à Nancy à la mort de son père et prend la direction de la fabrique de faïence et de meuble familiale. L’entreprise fabriquait des meubles de style Louis XV mais ayant rencontré Émile Gallé, les meubles Majorelle font leur apparition dans les années 1890, dans le même temps de l’émergence de l’Art Nouveau.
Majorelle se souvient d’Henri Sauvage qu’il a rencontré à Paris. Sauvage devient l’architecte de la Villa Majorelle en 1898, il sera secondé par Lucien Weissenburger.
Signature d’Henri Sauvage, Villa Majorelle, Nancy
Le jeune architecte commettra quelques erreurs sur la Villa mais rien qui puisse venir entacher sa beauté. Sauvage va faire appel à des artistes ayant des méthodes nouvelles et faisant parti du mouvement artistique en marche, ils seront évoqués dans la visite de la Villa. Gardons à l’esprit que pour l’époque, la Villa Majorelle est la première maison Art Nouveau de Nancy, elle rompt brutalement avec le clacissisme de l’époque en proposant un espace lumineux, asymétrique et apportant une vision de la nature dans les pièces de vie. La maison est aboutie en 1902.
La Villa Majorelle, un extérieur à découvrir
Louis Majorelle faisait son entrée par le portail de la rue du Veil Aître qui existe toujours. Avant d’en franchir la grille, il faut lever les yeux et découvrir la façade nord du bâtiment. L’on se fait aisément une idée de la disposition des pièces : la gauche pour le service, l’escalier dans l’avancée et les pièces de vie sur la droite.
Façade nord, Villa Majorelle, Nancy
La façade est un enchevêtrement de matériaux. Chaque des fenêtres de l’édifice à le droit à ses petits carreaux de céramique signés Alexandre Bigot.
Carreaux, Villa Majorelle, Nancy
La participation d’Alexandre Bigot n’est pas liée au hasard. Docteur en chimie travaillant sur les émaux, il va profiter de l’essor de la « céramique architecturale ».
À l’Exposition Universelle de 1889, le céramiste va présenter son innovation, l’un des emblèmes de l’Art Nouveau : le grès flammé. Il est obtenu à partir d’une argile cuite à 1 200 degrés et qui prend, de fait, une couleur foncé oscillant entre le gris et le marron. En y ajoutant une couche d’émail d’une couleur choisie, l’on peut obtenir une pièce au reflets métallique. On en retrouve également sur les cheminées.
Rampe de la terrasse, Villa Majorelle, Nancy
Louis Majorelle n’est pas en reste sur les extérieurs, ses ateliers apportent les gouttières. La couleur verte associée à la forme de feuille vient colorer la façade et lui donner un accent de gaieté.
Gouttières, Villa Majorelle, Nancy
Le côté ouest de la Villa nous permet d’admirer le balcon sur lequel Louis Majorelle fumait sa pipe en regardant le jour s’éteindre.
Façade ouest, Villa Majorelle, Nancy
L’arrière de la maison nous laisse admirer le bow-windows de la salle à manger. Sur la droite, l’aile du service s’aperçoit.
Façade sud, Villa Majorelle, Nancy
La Villa Majorelle, un intérieur Art Nouveau
Franchissant la porte, nous entrons dans le hall d’entrée. Les murs sont ornés du motif de la monnaie-du-pape, symbole de prospérité qui devient l’un des motifs usités par l’École de Nancy. Ce motif est également présent sur les vitraux signés Jacques Gruber situés en haut de la porte d’accès au vestibule. Un élégant porte-manteau et parapluie est également présent.
Hall d’entrée, Villa Majorelle, Nancy
Poursuivons notre aventure vers la pièce emblématique, l’une des plus raffinée, de la Villa et représentant la modernité de l’Art Nouveau : la salle à manger.
Salle à manger, Villa Majorelle, Nancy
La décoration répond en tout point à l’Art Nouveau : les lignes des boiseries, la basse-cour représentée, le soin et le luxe est de mise dans un ensemble des plus agréables. L’œuvre la plus importante reste sans doute la cheminée en grès flammé réalisée par Bigot. Prenant la forme d’un épi de blé, elle divise la pièce en deux parties : salle à manger et fumoir.
Cheminée, Villa Majorelle, Nancy
Derrière la cheminée, en haut des baies, des vitraux d’une plaisante couleur viennent offrir une lumière parée de leur effet.
Vitraux, Jacques Gruber, Villa Majorelle, Nancy
Les animaux de la ferme tiennent également une place importante dans la pièce : Francis Jourdain peint une frise qui fait le tour de la pièce, les animaux y sont présents dans une nature verdoyante et foisonnante.
Fresque, Villa Majorelle, Nancy
La salle à manger reste le lieu où l’on prend ses repas. Un mobilier doit y être aménagé en conséquence : Louis Majorelle conçoit, en 1905, un ensemble nommé Les blés, modèle riche. Le modèle est ici riche comme son nom l’indique mais Majorelle va également en concevoir un modèle moins coûteux. Le principe de l’Art Nouveau se retrouve dans ce mobilier : introduire l’art dans la vie quotidienne. Le buffet, la desserte, la table et les chaises son conçu en chêne plaquée d’un bois de serpent avec pour thème l’épi de blé, s’associant avec la cheminée.
Buffet Majorelle, Villa Majorelle, Nancy
Quel que soit l’époque, le salon reste une pièce essentielle de toute demeure. Pour correspondre à l’époque, il est habillé de tons clairs.
Salon, Villa Majorelle, Nancy
Le décor est empreint de nature, le mobilier est à décor de pommes de pin. Admirons, à cet effet, la banquette. Nombres de plantes étaient posées çà et là.
Banquette, Villa Majorelle, Nancy
La pièce possède sa cheminée qui avait également un vitrail qui a disparu avec les bombardements en 1916, remplacé par un décor rappelant le Maroc.
Cheminée, Villa Majorelle, Nancy
La pièce renferme également une petite merveille : la Lampe de bureau « Libellules ». Née d’une collaboration entre l’atelier Majorelle et les verreries Daum, l’assemblage de bronze, de verre aux tonalités rosées. La lampe sera associée aux bureaux vendus par Majorelle dans les catalogues.
Lampe de bureau « Libellules », Villa Majorelle, Nancy
Avant de rejoindre le premier étage, arrêtons-nous à la terrasse couverte. D’exposition nord, elle était à l’origine ouverte aux vents mais sans doute à trop de vents et l’on y installera une baie menuisée en 1907.
Terrasse, Villa Majorelle, Nancy
Les décors sont soignés et le talent de céramiste de Bigot est encore mis à contribution mais l’on remarque surtout les peintures d’Henri Royer qui seront installées après 1905. Elles évoquent la naissance du jour dans un paysage mêlant hommes, femmes, enfants et paons.
Peinture de la terrasse, Villa Majorelle, Nancy
Dessiné par Henri Sauvage, l’escalier est une des pièces maîtresse de la maison. Il fût réalisé par les ateliers Majorelle. La racine de cet escalier est ornée de feuilles de lierres.
Racine de l’escalier, Villa Majorelle, Nancy
Il dessert les 2 étages de la maison. L’ensemble est lumineux grâce aux verrières dessinées en 1902 par Jacques Gruber.
Escalier, Villa Majorelle, Nancy
A l’origine un lustre à décor monnaie-du-pape ornait l’escalier mais il n’a pas été retrouvé et est remplacé par le Lustre « Les algues ». Produit en 1904, il est le fruit d’une collaboration : les ateliers Majorelle pour la structure de bronze, les dessins des vitraux par Jacques Gruber et les globes réalisés par les verreries Daum. Cette seule pièce montre l’originalité et la parfaite association la production de l’École de Nancy.
Lustre « Les algues », Villa Majorelle, Nancy
Le couple Majorelle dispose de sa chambre à coucher au 1er étage exposée plein sud, donc baignée de lumière et agrémentée d’un balcon. Louis Majorelle crée pour cette pièce intime un mobilier unique. Ce mobilier unique est composé de 9 pièces : un lit, un chevet, une armoire, deux commodes, un fauteuil, une coiffeuse et un miroir.
Chambre à coucher, Villa Majorelle, Nancy
Le mobilier est exécuté dans un bois clair, lumineux, renforcé par des incrustations de nacre et de cuivre mais aussi de poignées en bronze doré. Nous sommes face à des silhouettes dans l’idée Art Nouveau la plus pure, la plus élégante.
Détail de l’armoire, Chambre à coucher, Villa Majorelle, Nancy
Datée de 1904, l’ensemble de ce mobilier fut emporté par le fils Majorelle au Maroc et plus tard vendu pour être acquis par le Musée de l’École de Nancy et regagner récemment la Villa Majorelle.
Chambre à coucher, Villa Majorelle, Nancy
La Villa après Louis Majorelle
Pendant la Première Guerre Mondiale, les affaires ne sont plus aussi bonnes pour Louis Majorelle. Destruction des locaux, pillage du stock à Lille, il rouvrira son atelier après la guerre en tournant ses dernières créations vers le mouvement Art Déco.
Louis Majorelle meurt le 15 janvier 1926 à Nancy.
Détail porte de la chambre à coucher, Villa Majorelle, Nancy
Cinq années plus tard, l’entreprise Majorelle ferme. Entre-temps, avec une fortune familiale bien amoindrie, la Villa Majorelle et son jardin sont vendus. Jacques Majorelle vend la Villa à l’État. L’Art Nouveau n’étant plus guère à la mode, l’on n’entretient pas la maison et l’on transforme çà et là des éléments.
En 1975, elle est inscrite aux Monuments Historiques et elle sort de l’ombre en 2016 avec le début du chantier de restauration et sera rouverte en 2020. Le chantier se poursuit vers une fin de rénovation prévue pour 2026.