En l’an de grâce 1380, Charles VI devient Roi de France. Son frère Louis de Valois devient Duc d’Orléans en 1392. Le Duc de Bourgogne, Jean Sans Peur, souhaite obtenir plus de pouvoir et peut-être monter sur le trône de France. Louis d’Orléans va donc faire le choix de protéger ses positions en construisant les châteaux de Coucy, de la Ferté-Milon et de Pierrefonds. La construction du château débute en 1396 sur un plateau adossé la forêt et donc plus facile à faire garder. Des tours rondes, chemin de rondes et courtines font la réputation d’un château imprenable. Le château est à peine achevé lorsque Louis d’Orléans est assassiné en 1407. Tour à tour occupé par le Duc de Bourgogne puis par les Anglais pendant la Guerre de Cent Ans, le Duché de Valois par le Roi Louis XII à son cousin, le futur François Ier.
Clocher de l’église Saint-Sulpice, Pierrefonds
En 1610, le Roi Louis XIII, jeune Roi de 9 ans, se voit contesté par des opposants dont certains vont se réfugier à Pierrefonds. De fait, le Cardinal de Richelieu ordonne au Comte d’Auvergne d’assiéger et de prendre la place en 1617. Ce sera chose faite : le Conseil du Roi décide de démanteler le château, sans doute pour faire un exemple.
Pierrefonds, une redécouverte
Le XIXème siècle redécouvre le patrimoine médiéval. Pierrefonds devient une illustration de la « ruine romantique », il sera le sujet de peintres, comme Camille Corot l’un des fondateurs de l’École de Barbizon.
En 1848, Louis-Napoléon Bonaparte devient Président de la Seconde République. Le 2 décembre 1852, à la suite d’un coup d’État, il devient Empereur des Français sous le nom de Napoléon III. Le régime impérial prend en charge la politique culturelle avec la création des musées impériaux et une politique de sauvegarde du patrimoine français dans l’idée de la construction d’une histoire nationale renforçant le régime impérial et la France.
Le 14 juillet 1850, le Président Bonaparte visite le château de Pierrefonds. Prenant conseil auprès de Prosper Mérimée, Inspecteur général des Monuments historiques, Napoléon III demande à Eugène Viollet-le-Duc de restaurer le château.
Château de Pierrefonds
Viollet-le-Duc a publié Description du château de Pierrefonds, en 1857. Il y évoque que des fouilles archéologiques y ont été effectuées en 1849.
Alors qu’il achève la restauration de la Basilique de Vézelay, Eugène Viollet-le-Duc prend en charge le chantier en 1858.
Pierrefonds, un choix entre restauration et restitution
En 1857, Pierrefonds n’est plus que l’ombre de son passé, une ruine où subsiste des masses de pierres correspondants aux rez-de-chaussée des anciennes tours et logis. Les tours Alexandre et Hector sont à moitié debout. Le 5 novembre 1858, l’Empereur Napoléon III et l’Impératrice Eugénie font la première de leurs visites sur le chantier et découvre un site qui a été nettoyé et dont les fouilles archéologique ont débutées. Il faut dire que le couple impérial est en villégiature à Compiègne d’octobre à décembre ce qui permettra des visites. Lorsque le 10 novembre 1859, Leurs Majestés visitent le château, le chantier est à l’arrêt, les crédits ayant été consommés depuis quelques mois. Le château est classé aux Monuments Historiques.
Entrée dans l’enceinte, château de Pierrefonds
Une restauration aurait impliqué de consolider l’existant. L’Empereur va souhaiter rapidement que Pierrefonds devienne une résidence impériale et, dès lors, il est question d’une restitution. Ce qui reste ne suffit pas à établir un projet global alors tout comme à Notre-Dame de Paris, Viollet-le-Duc va devoir restituer en prenant des libertés et va fabriquer une vision rêvée, fantasmée d’un moyen-âge n’ayant sans doute jamais existé.
Dès lors, à partir de 1861, ce n’est plus un monument historique mais un château féodal du XVème siècle qui est en chantier.
Donjon, château de Pierrefonds
Les tours s’élèvent en quelques années à la faveur des dessins de l’architecte. L’année de l’exposition universelle de 1867, le château reçoit la visite du Roi du Portugal, de Louis II de Bavière et d’un prince japonais. La salle des Preuses réunissant une collection de Napoléon III est ouverte au public. Cette même année, le 3 novembre, Napoléon III est en visite avec l’Empereur d’Autriche. L’on poursuit l’extérieur et l’on décore l’intérieur.
En 1869, le chantier va ralentir au vu de son exceptionnel avancement. L’on décide de faire sculpter une statue de Louis d’Orléans pour la cour.
Statue équestre de Louis d’Orléans, château de Pierrefonds
En 1870, le Second Empire vacille et s’éteint. Il est difficile pour la IIIème République de poursuivre ce chantier cher au cœur de l’Empereur déchu et pourtant en avril 1872 les travaux reprennent et le 3 novembre 1873 le Ministre Simon vient visiter le chantier, à la même époque ou le couple Impérial avait l’habitude de s’y rendre. Ce faisant la République prend possession du rêve de Napoléon III et de Viollet-le-Duc, qui conserve ses fonctions sur le chantier, à pas feutrés.
Eugène Viollet-le-Duc visite une dernière fois le chantier le 8 août 1879 et part pour Lausanne où il décède le 17 septembre. L’œuvre de sa vie est accomplie et il continue de garder son œuvre depuis la façade de la chapelle où il fût représenté en pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle.
Eugène Viollet-le-Duc, chapelle, château de Pierrefonds
Pierrefonds, une visite hors du temps
La visite de Pierrefonds s’effectue en deux temps : les extérieurs évoquant le château féodal et son évolution renaissance et les intérieurs pur produits du XIXème siècle qui évoque un moyen-âge rêvé par Viollet-le-Duc et ses contemporains.
Château de Pierrefonds
Restaurer et construire un château féodal
« Construire pour l’architecte, c’est employer les matériaux, en raison de leurs qualités et de leur nature propre, avec l’idée préconçue de satisfaire à un besoin par les moyens les plus simples et les plus solides. » - Eugène Viollet-le-Duc
Il est admis que Viollet-le-Duc a respecté en majorité l’aspect extérieur de Pierrefonds. En effet, l’on peut supposer que le château voulu par Louis d’Orléans ressemble à celui que nous pouvons admirer. Malgré tout, il semble étonnant qu’il existât à l’époque un fossé et des bases de canon étant donné que l’artillerie est utilisée à partir du XVIème siècle. L’ensemble est un rectangle de 85 mètres par 65 mètres. Observons la représentation de l’Annonciation sur la façade principale, cette œuvre montre l’évolution de la forteresse vers un endroit plus plaisant.
Annonciation, château de Pierrefonds
Ce qui marque le plus sur l’extérieur ce sont les huit grosses tours. Symbole de la puissance du seigneur, ces tours sont marquées par la chevalerie avec la représentation des Neuf Preux. Vus comme symbolisant le meilleurs de la chevalerie comme l’honneur, la bravoure, …, ils sont des héros de l’Antiquité pour cinq s’entre eux (Hector, Alexandre le Grand, Jules César, Josué, Judas Maccabée et David), ainsi que trois souverains chrétiens (Charlemagne, le Roi Arthur et Godefroy de Bouillon).
Tour de Josué, château de Pierrefonds
Ces tours ont des diamètres de plus de 10 mètres et des murs ayant parfois une épaisseur de plus de 4 mètres, de véritables monstres de pierre. Il y aura à Pierrefonds huit tours et non neuf, le dernier Preux, le Roi David, sera représenté par une étoile de David dans la chapelle.
« Tour de David », chapelle, château de Pierrefonds
Entre les tours, et communicant avec elles, l’on peut observer un double chemin de ronde. L’étage bas est couvert, ses murs sont percés de fines archères et d’ouvertures permettant de jeter des pierres sur l’assaillant. L’étage haut est ouvert et flanqué de créneaux et de meurtrières.
Chemins de ronde, château de Pierrefonds
Dans son idée de château idéalisé, le fameux architecte va créer des pont-levis, portes et autres châtelets. L’accès à la cour du château se fait donc via un pont-levis et une porte, qui plonge le visiteur dans l’esprit médiéval mystifié.
Porte principale, château de Pierrefonds
En quelques pas, la cour d’honneur se dévoile. Le contraste est saisissant avec le vaisseau de pierre, qu’est la silhouette extérieure du château. Les façades sont de style renaissance et offre une apparente disposition des espaces intérieur. En fait, les espaces intérieurs ne sont pas cohérents avec les façades. Le portique et le grand logis sont directement visibles.
Portique et grand logis, château de Pierrefonds
Les clés de voûtes du portique représentent des métiers appartenant à la société médiévale.
Clé de voûte, portique, château de Pierrefonds
En face du grand logis, l’on peut admirer l’escalier à vis qui s’inspire clairement d’autres escalier de style renaissance, adossé au donjon.
Escalier à vis, château de Pierrefonds
Le donjon : les appartements impériaux
Le château de Louis d’Orléans implique une particularité : le donjon est accolé à la muraille. Ce donjon sera une des parties du château où subsisterons des pans de murs, la restauration en sera facilitée. Malgré tout, l’on va rassembler le donjon composé des tours de César et de Charlemagne et l’escalier à vis pour faire un lieu de résidence sur trois étages.
Dans la salle de réception, Napoléon III et Eugénie recevaient leurs intimes.
Salle de réception, château de Pierrefonds
La salle est sans ameublement sauf une banquette qui n’est pas sans nous rappeler les décors Art Nouveau qui apparaitront quelques décennies plus tard. Le plus remarquable dans la pièce est ce décor si richement coloré à la frontière entre un aspect médiéval et un décor de théâtre.
Salle de réception, château de Pierrefonds
Outre cette salle, l’espace comprend le cabinet de l’Empereur, les chambres de l’Empereur et de l’Impératrice ainsi que des petits espaces et un espace surprenant : la chambre du seigneur.
« Qui veult peult », telle est la devise présente sur la cheminée. Une cheminée qui en dit long : les abeilles rappellent l’Empire, le décor végétal évoque ce moyen-âge rêvé.
Cheminée, chambre du seigneur, château de Pierrefonds
Chacune des poutres porte un aigle impérial, une frise orne le haut des murs : elle narre l’éducation d’un chevalier du XIVème siècle, en rappelant les exploits à réaliser, la conduite à tenir et surtout le sens du devoir.
Frise des chevaliers, chambre du seigneur, château de Pierrefonds
Le Grand Logis et ses espaces
Le grand logis abrite des espaces fabuleux du château. D’abord, la salle des armes de poing de Napoléon III. Cette salle est un lieu surprenant où Napoléon III exposait sa collection d’armes de poing, fixés sur des blasons. La pratique est étonnante pour nos contemporains mais sans aucun doute moins surprenante à l’époque.
Salle des armes de poing, château de Pierrefonds
Nos pas nous mènent ensuite dans la plus fabuleuse salle du château : la salle des Preuses. Longue de 52 mètres, large de 9,5 mètres et haute de 12 mètres, la salle est ouverte sur la cour par 22 fenêtres. Elle située à l’emplacement de l’ancienne grande salle où les seigneurs rendaient la justice. Son décor foisonne des murs jusqu’au voûtes, réalisée à la faveur de charpentes métalliques dans la technique du XIXème siècle.
Salle des Preuses, château de Pierrefonds
Utilisée comme galerie de bal, cette salle ne pouvait qu’être grandiose, dans un esprit médiéval mais rappelant la grandeur supposée du Second Empire. Le portail d’accès est riche de symboles. En effet, deux anges surmontent le portail, ils soutiennent le blason impérial couronnée et leurs ailes sont de bleu, blanc, rouge, colorés.
On aperçoit au centre une statue de l’Empereur Charlemagne entouré par d’autres statues (Guillaume d’Orange, l’Évêque Turpin, Roland et Olivier).
Portail, Salle des Preuses, château de Pierrefonds
A l’autre extrémité de la salle se dresse une cheminée monumentale dont le manteaux est ornée de Neuf Preuses. Faisant échos aux Neufs Preux que l’on retrouve sur les tours, elles évoquent la beauté, la grâce et l’amour, elles figurent dans les héros de l’antiquité. Le sculpteur s’est inspiré des visages de l’Impératrice (représentée en Sémiramis, la légendaire Reine de Babylone) et de ses dames de compagnies.
Cheminée des Neuf Preuses, Salle des Preuses, château de Pierrefonds
A l’époque suivant sa reconstruction, cette salle était également composée de la collection d’armures de l’Empereur. Cette collection sera transférée aux Invalides après 1870 et la chute du Second Empire. Reste au dans la galerie une grande vitrine et des canapés circulaires, dessinés par Viollet-le-Duc.
Canapé, Salle des Preuses, château de Pierrefonds
A l’étage inférieur, se trouve la salle des gardes ou des mercenaires. L’idée évidente étant de pouvoir accueillir des soldats de la suite de l’Empereur ou d’un souverain étranger. On y trouve des vestiges retrouvés sur le chantier.
Salle des gardes, château de Pierrefonds
Le grand logis nous réserve une dernière surprise de taille : les caves. Si les murs de ces caves datent du XIVème siècles, les voûtes ont été reconstruites au XIXème siècle. On y retrouve « Le bal des gisants », commandés par Louis-Philippe pour le château de Versailles, les moulages sont aujourd’hui présents à Pierrefonds.
Caves, château de Pierrefonds
La chapelle
Entièrement reconstruite par Viollet-le-Duc, la chapelle est située à son emplacement d’origine, dans la tour Judas Maccabée. Étonnante création que cette chapelle, invisible de l’extérieure mais lumineuse et rayonnante de son intérieur.
Chapelle, château de Pierrefonds
Lors de la Première Guerre Mondiale, le château de Pierrefonds sert de caserne pendant que le village accueille les blessés dans la gare, les thermes, le prieuré et même les écoles. Pendant, un instant le château aura retrouvé son rôle de forteresse.
Il est aujourd’hui considéré comme l’un des « chefs d’œuvres » du travail d’Eugène Viollet-le-Duc même s’il fût tant controversé, et l’est encore aujourd’hui. La visite de Pierrefonds renseigne sur la pensée même de l’architecte et sur celle de l’Empereur qui sera sous le charme de ce lieu. Pierrefonds et d’autres monuments restaurés à l’époque vont aider à construire un imaginaire du monde médiéval et même a réhabilité une période trop longtemps considérée comme sinistre.
Le XXème siècle va apporter l’idée d’une restauration scientifique des monuments : études des monuments, archéologie, principe de la restauration minimum, respect de la vie du monument ou encore l’idée de la réversibilité des restaurations entreprises. Si le sauvetage des monuments est essentiel, il ne semble plus au goût du jour de les réinventer mais bien de les restaurer pour que les générations futures puissent profiter de la possibilité d’admirer le savoir-faire à l’œuvre sur le monument.